Le promoteur d'un projet immobilier du Village annonce aujourd'hui la fondation de la Maison Bourbon, un OBNL qui permettra à des organismes communautaires LGBTQ d'accéder à des espaces locatifs abordables dans son édifice. Critiqué par le secteur communautaire et désavoué par la Ville depuis que son projet se concrétise, l'homme d'affaires semble ainsi avoir mis le doigt sur un moyen de dissiper la grogne.

La Maison Bourbon est la solution à un problème qui ne trouvait pas d'issue, malgré les nombreuses tentatives d'élaborer un plan qui serait favorable aux groupes communautaires autant qu'au promoteur, Labid Aljundi. « Ces organismes ont beaucoup d'importance au niveau social, mais malgré leur intérêt [à s'installer dans l'immeuble], la question du prix nous empêchait d'avancer », explique M. Aljundi, rencontré par La Presse au début de la semaine. 

Un étage de l'édifice doit être réservé à une activité communautaire, mais le prix du marché s'avère hors de portée de la plupart des petits organismes qui pourraient profiter de cet espace.

Le promoteur canado-syrien s'est récemment penché sur une idée qui permettra, selon lui, d'avoir des répercussions positives sur la communauté locale : l'organisme à but non lucratif de M. Aljundi, la Maison Bourbon, a été créé pour fédérer l'espace locatif et ensuite louer des bureaux à des prix qu'il a lui-même établis, soit entre 10 $ et 17 $ le pied carré. 

L'évaluation du coût commercial au centre-ville de Montréal se situe autour de 24 $ à 34 $ le pied carré.

« Notre but très clair est de donner à la société. Pour cela, j'ai besoin d'une entité à but non lucratif qui ne cherche pas les profits, mais les solutions. » - Labid Aljundi, promoteur

Construction sous condition

Rue Sainte-Catherine Est, où se trouvait le complexe Le Bourbon, s'élèvera d'ici l'été 2020 un immeuble de neuf étages, dont sept seront consacrés à une centaine de copropriétés résidentielles, déjà en vente depuis quelques mois. Le rez-de-chaussée abritera des commerces et le premier étage, des bureaux et espaces communs, où seront regroupés les organismes LGBTQ dans six bureaux, selon les plans préliminaires.

Situé entre les rues De Champlain et Alexandre-DeSève, l'ancien édifice, un complexe destiné à la communauté gaie, a abrité des bars, des restaurants et un hôtel dans les années 1990 et 2000. 

Investissements MSC Canada, l'entreprise de Labid Aljundi, a acquis le site en 2014. Une dérogation municipale a été demandée quelques années plus tard pour construire un nouvel immeuble de plus de 30 mètres, soit bien plus haut que les 15 mètres permis par les normes d'urbanisme. 

L'ancienne administration Coderre avait accordé ce changement de zonage, en 2017, à la suite d'une évaluation de l'Office de consultation publique de Montréal (OCPM). Mais à la condition d'une « contribution à l'identité distinctive du village et les bénéfices pour les organismes qui [...] ont des besoins criants de locaux et d'un centre communautaire », recommandait l'OCPM. D'où l'attribution d'un étage aux activités du secteur communautaire.

Un projet critiqué

Toutefois, aucune garantie écrite n'avait été demandée, ce qui avait suscité l'inquiétude chez certains organismes et citoyens, mais aussi au sein de l'administration Plante, entrée à la mairie tout juste après que l'entente eut été conclue.

Les prix des locaux n'étaient pas abordables pour les organismes. Les logements, initialement destinés à la location, ont finalement été mis en vente. Plusieurs s'inquiétaient de la dérogation au Plan d'urbanisme. Au début du projet, le premier étage devait être loué à un prix sous sa valeur marchande, mais pendant trois ans seulement. Aucun organisme n'avait voulu s'engager.

Tous ces éléments faisaient du projet un sujet d'inquiétude et de protestation. 

Très dubitatif avant que l'idée de la Maison Bourbon ne soit mise sur la table, Christian Tanguay, du Centre communautaire LGBTQ de Montréal, voit la nouvelle proposition du promoteur d'un oeil positif, mais prudent. « Je ne dis pas que c'est l'eldorado, mais je ne dis pas que c'est mauvais », affirme-t-il. 

Il avoue avoir été agréablement surpris par une telle offre, qui s'inscrit dans un modèle d'économie plus sociale que mercantile. « Je crois que ça pourra faire des petits, ça pourra donner l'exemple, parce qu'à date, je n'ai rien vu de comparable », ajoute M. Tanguay, qui espère que cette formule sera viable dans le temps et pourra perdurer.

Le retour des organismes

L'organisme Interligne (anciennement Gai écoute) faisait partie de ceux qui ne pouvaient se permettre les prix initiaux proposés par le promoteur. Pascal Vaillancourt, directeur général du centre d'aide et d'écoute, considère que l'idée de l'OBNL est une « bonne initiative, qui démontre le bon vouloir du promoteur de soutenir les organismes ». 

Interligne a dû s'établir dans des locaux en dehors du centre-ville, mais M. Vaillancourt pense que de nombreux organismes voudront s'installer dans le nouvel immeuble Bourbon. « On parle de réduire les loyers, ce qui serait assez extraordinaire », dit-il. 

« À ce prix-là, c'est très intéressant pour les organismes LGBTQ, qui sont sous-financés parce qu'on est arrivé tard dans l'histoire du communautaire. » - Pascal Vaillancourt, directeur général d'Interligne

Beaucoup d'autres entités ont eu à quitter le Village en raison des difficultés à trouver des locaux accessibles. « Plusieurs pourraient bien revenir, avance M. Vaillancourt. On sait que le Village est une zone sécuritaire pour la communauté. » 

Revitaliser Sainte-Catherine

Labid Aljundi croit également pouvoir insuffler une nouvelle vie au Village grâce à son premier projet immobilier à Montréal.

Du côté de la Chambre du commerce LGBTQ (CCLGBTQ), on pense aussi qu'il s'agit là d'une occasion de raviver la vitalité économique chancelante du quartier. 

« C'est un beau projet, unique, qui va pouvoir dynamiser le secteur, qui était un peu à l'abandon, croit Steve Foster, directeur de la CCLGBTQ. Ça va générer de l'achalandage dans le coin et les commerces vont pouvoir en bénéficier. »