Un petit groupe de propriétaires immobiliers vient d'envoyer des avis de reprise de logement «potentiellement frauduleux» à au moins 17 ménages locataires d'un même quartier, dénonce le Comité logement de la Petite Patrie.

Quand il a reçu un avis de reprise de logement des mains d'un huissier dans le temps des Fêtes, Geoffrey Roy était perplexe.

Son nouveau propriétaire disait vouloir reprendre son appartement de la rue Drolet afin d'y loger sa mère, Angelina.

«Il y avait des fautes d'orthographe dans la lettre, ça ne faisait pas très sérieux, dit M. Roy. Aussi, j'habite au troisième étage d'un triplex. Pourquoi voulait-il loger sa mère au troisième étage, alors que l'appartement du rez-de-chaussée vient de se libérer ?»

En discutant autour de lui, M. Roy a appris qu'un autre citoyen de La Petite-Patrie avait reçu le même jour un avis de reprise, accompagné d'une lettre semblable. La personne désirant occuper cet appartement était... la même Angelina.

Mis au parfum de l'affaire, le Comité logement de la Petite Patrie a trouvé 17 avis de reprise de logement envoyés récemment à des ménages locataires par le propriétaire, sa conjointe ainsi qu'une société.

Le comité a réalisé qu'«Angelina» serait bénéficiaire de cinq reprises de logement en 2019, et de deux en 2018. Un autre parent, «Amadeo», serait quant à lui bénéficiaire de quatre reprises de logement en 2019 et d'une en 2018.

Le propriétaire et son entreprise n'ont pas rappelé La Presse hier.

Pour Martin Blanchard, responsable au Comité logement de la Petite Patrie, cela a «toute l'apparence d'une fraude».

«Des voyous de l'immobilier utilisent leur pouvoir pour chasser des ménages de leur logement, a-t-il dit en point de presse hier. C'est une situation que l'on dénonce. Des locataires se sont mis ensemble, et on applaudit ça. C'est extrêmement rare.»

Les demandes de reprise de logement ont pour la majorité été abandonnées par les propriétaires après que les locataires ont commencé à mettre en doute leur légitimité.

Des abus qui perdurent

Martin Blanchard conseille aux locataires qui recevraient un avis de reprise de logement de refuser de partir, ce qui oblige le propriétaire à aller défendre son projet devant un tribunal de la Régie du logement.

«Malheureusement, les juges de la Régie du logement croient souvent les propriétaires sur parole, dit-il. Et aucun suivi n'est assuré par le tribunal.»

«Personne ne vérifie si la personne qui reprend le logement va vraiment y habiter. C'est une situation qui permet aux abus de perdurer.»

De manière générale, les propriétaires qui reprennent frauduleusement les logements le font pour les transformer en copropriétés divises ou indivises, pour augmenter les loyers, pour les louer sur Airbnb ou pour revendre l'immeuble avec profits, note le comité.

«Un levier pour faire du profit»

Le Comité logement de la Petite Patrie dit avoir des exemples où le propriétaire et sa conjointe auraient utilisé «le prétexte de faire bénéficier une parente» pour revendre un logement acheté en 2011 avec profits. Dans un autre cas, un logement aurait été «reloué sur le marché, sans que la parente ne l'occupe, faisant passer le loyer de 710 $ à 1675 $ par mois».

Le comité note que l'entreprise du propriétaire des appartements aurait changé plusieurs fois de nom dans les derniers mois.

Martin Blanchard aimerait voir une refonte de la loi afin que tous les avis de reprise de logement soient déposés à la Régie du logement, qui devrait s'assurer de leur légitimité.

«Actuellement, tout repose sur les épaules des locataires, qui souvent n'ont pas les ressources pour savoir si c'est légitime ou s'ils sont victimes d'une fraude. La reprise est trop souvent utilisée comme un levier pour faire du profit. Perdre son logement, c'est un traumatisme. On devient indésirable dans son propre logement. Il faut civiliser ce marché sauvage.»

Quant à Geoffrey Roy, le citoyen de la rue Drolet, il compte refuser la demande de quitter son logement, qu'il habite depuis cinq ans.

«Je peux comprendre qu'un propriétaire veuille reprendre un logement pour sa famille. Mais là, ça ne semble pas être le cas. On ne veut pas se faire marcher sur les pieds.»