Si le pouvoir de donner le feu vert au mégaprojet Royalmount appartient exclusivement à Mont-Royal, l'agglomération de Montréal, la Communauté métropolitaine et même le gouvernement du Québec ont tout de même la capacité de « bloquer le projet » en refusant de collaborer à sa réalisation.

Et selon l'urbaniste émérite et doyen de la faculté d'aménagement de l'Université de Montréal Raphaël Fischler, ils ne devraient « pas hésiter à intervenir de manière ferme dans le projet Royalmount » parce que ce vaste projet touristique et commercial, au centre de l'île de Montréal, « ne sert pas l'intérêt public ».

Dans un mémoire court, mais cinglant d'à peine trois pages déposé sans présentation à la Commission sur le développement urbain et l'habitation de la Ville de Montréal, Raphaël Fischler affirme que le cheminement d'un projet comme Royalmount découle d'une « aberration dans la gestion du développement de Montréal ».

« Il est issu de la décision d'une seule municipalité (Mont-Royal) dont la population représente 1 % de celle de l'agglomération de Montréal et 0,5 % de celle de la Communauté métropolitaine, de changer la géographie urbaine à l'échelle métropolitaine. Cette situation va à l'encontre de la logique et des bonnes pratiques en matière de gestion du développement urbain, et dans une certaine mesure, en matière de démocratie. »

« Le projet Royalmount est présenté par ses promoteurs comme une réponse à une demande à l'échelle régionale, voire métropolitaine. Il est donc logique que ce soient des élus qui oeuvrent à cette échelle qui statuent, au nom de la communauté régionale ou métropolitaine, sur le bien-fondé de leur projet. » - Raphaël Fischler

Hier, lors de la dernière journée de consultations publiques de cette commission de la Ville de Montréal, la députée de Québec solidaire de Mercier, Ruba Gazal, ainsi que plusieurs autres intervenants, dont Vivre en ville, l'Observatoire sur la mobilité durable de l'Université de Montréal et le Conseil régional de l'environnement de Montréal, ont plaidé pour un « moratoire » afin de repenser ce vaste projet, qui n'a pas d'appui dans les arrondissements et villes voisins de Mont-Royal. 

Ils reprennent ainsi le point de vue du maire de l'arrondissement de Saint-Laurent, Alan DeSousa, qui suggérait mercredi soir qu'une pause dans l'avancement de ce projet pourrait être salutaire.

49 millions

Royalmount est un vaste ensemble immobilier, commercial et touristique de plus de 2 milliards, entièrement financé par le privé, prévu sur des terrains industriels désaffectés situés à l'intersection des autoroutes 15 et 40, dans la municipalité de Mont-Royal. C'est en plein centre géographique de l'île de Montréal.

Sur ces terrains d'une superficie équivalente à 40 terrains de football, le promoteur, Carbonleo, veut construire cinq hôtels, des tours de bureaux, une centaine de restaurants, 200 commerces, un aquarium, un cinéma et deux salles de spectacle, entre autres. Un volet résidentiel pouvant compter 6000 appartements et condos pourrait s'y ajouter.

La Ville de Mont-Royal a déjà donné le feu vert au projet commercial, mais pas au projet résidentiel. Des travaux de préparation du site ont débuté dès novembre dernier, et Carbonleo ambitionne d'inaugurer Royalmount dès l'été 2022. 

Selon des études du promoteur, les impacts sur la circulation automobile pourraient être atténués avec la réalisation de neuf interventions distinctes sur les réseaux d'infrastructures de la Ville de Montréal et du ministère des Transports du Québec. Le coût de ces interventions a été estimé, par le promoteur, à 49 millions.

« Il n'en tient qu'aux élus... »

Ce sont ces interventions sur le domaine public, suggère le professeur Fischler, qui pourraient donner aux élus de Montréal et à Québec « un certain pouvoir de décision ». Il ne tient qu'aux élus locaux et provinciaux, soutient-il, « de décider s'ils veulent investir les impôts des contribuables pour rendre possible la réalisation du projet ».

« Ils peuvent décider s'ils soutiendront la réalisation du projet par des travaux d'infrastructure qui relèvent de leur niveau de gouvernement. Il est clair qu'ils peuvent refuser ce soutien et ainsi bloquer le projet. » - Raphaël Fischler

« Ils ont le droit de refuser à un promoteur et à une ville de réaliser un projet urbain qui aura un impact négatif sur la métropole, renchérit-il. Ils peuvent le faire en exigeant [que le promoteur] porte tout le poids financier des travaux d'infrastructures et d'amélioration nécessaires à sa réalisation et, surtout, à sa réalisation sans impacts négatifs sur les infrastructures publiques et les autres municipalités. Et ils doivent le faire en affirmant que ce projet sera l'occasion d'une révision longtemps attendue des pratiques en matière de gestion du développement urbain. »

En quelques années, prédit-il, Royalmount « pourrait contrecarrer des décennies d'efforts pour dynamiser le centre-ville et les quartiers, des décennies de travail des administrations publiques, des groupes communautaires et des petits entrepreneurs pour que les habitants de Montréal aient accès à un centre-ville commun à tous, et à des quartiers qui répondent à leurs besoins sans qu'ils aient besoin de faire des kilomètres en voiture. »

Titulaire d'un doctorat en planification urbaine, de deux maîtrises du MIT et ingénieur en architecture et design urbain, Raphaël Fischler est une sommité québécoise en urbanisme. En juin, il a été nommé doyen de la faculté d'aménagement de l'Université de Montréal.

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70 000: Nombre de visiteurs que Carbonleo souhaite attirer chaque jour, dans un secteur hautement congestionné où circulent déjà environ 370 000 véhicules quotidiennement, à l'intersection des autoroutes les plus fréquentées du Québec

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Un « engagement formel » pour une navette gratuite

Le maire de Mont-Royal, où sera situé le projet Royalmount, Philippe Roy, a annoncé hier avoir obtenu « l'engagement formel » du promoteur Carbonleo d'implanter une navette électrique, gratuite, entre le complexe touristique et la future station Mont-Royal du Réseau électrique métropolitain (REM). Le REM sera mis en service la même année que Royalmount, soit 2022. Il a rappelé que le promoteur s'était déjà engagé à financer et construire une passerelle de 22 millions de dollars au-dessus de l'autoroute Décarie pour relier directement le complexe commercial à la station de métro de la Savane et favoriser l'utilisation des transports en commun par les 70 000 visiteurs quotidiens attendus. Malgré les craintes d'un véritable « chaos » dans la circulation automobile du secteur, soulevées à de nombreuses reprises en consultations publiques depuis novembre dernier, M. Roy s'est dit « convaincu que l'agglomération de Montréal portera un regard cartésien et pragmatique sur le projet » entièrement financé par le privé, à hauteur de plus de 2 milliards. Selon le maire, « les impacts positifs d'un investissement de cette taille et la création d'un nouveau pôle économique dépassent largement les enjeux liés à la circulation ».