Le constructeur du REM ne se plaint pas seulement des retards liés au tunnel du mont Royal. La firme NouvLR soutient que des villes de l’Ouest-de-l’Île ralentissent considérablement l’avancement du projet, selon son rapport d’étape obtenu par La Presse.

La situation apparaît particulièrement problématique avec la ville de Kirkland, que le Réseau express métropolitain (REM) traverse sur la longueur, et où il prévoit une station dans la section ouest de la Ville. « Kirkland bloque systématiquement les consentements municipaux et les plans », soutient le constructeur dans le rapport de NouvLR.

La principale pomme de discorde concerne l’endroit où seront construits les piliers qui supporteront les voies aériennes du REM. Le futur train électrique passera au nord de l’autoroute 40, soit exactement au même endroit que les conduites maîtresses d’eau et d’égout de Kirkland.

Exemple de ce désaccord : la construction des caissons dans lesquels seront montés les piliers à l’ouest du boulevard Saint-Charles est au point mort depuis trois mois. Elle devait débuter le 2 juillet, mais n’est toujours pas commencée.

NouvLR souhaite limiter les déviations majeures des conduites d’eau et d’égout en les recouvrant de gaines protectrices et en demandant des dérogations de distance par rapport à ce qui est prescrit au contrat avec REM. De son côté, Kirkland veut s’assurer d’avoir facilement accès aux conduites critiques avec efficacité et en toute sécurité dans les années à venir.

« On n’est pas là pour bloquer le projet, mais oui, il y a des discussions pour s’assurer que c’est fait de la meilleure façon possible pour ne pas se retrouver avec des problèmes dans l’avenir parce qu’on n’y aurait pas réfléchi avant sa réalisation », explique Joe Sanalitro, directeur général de la Ville de Kirkland, dans un entretien.

Le processus est arrêté jusqu’à ce qu’on arrive à une entente. Ça peut prendre une journée, ça peut prendre un mois. Ça dépend si on est capable de trouver une solution pour faire avancer le projet.

Joe Sanalitro

Kirkland n’est pas la seule entité municipale à avoir des différends avec le constructeur. Montréal, Pointe-Claire et l’arrondissement de Saint-Laurent agissent de façon semblable, déplore NouvLR dans son rapport.

Jointe par La Presse, la Ville de Pointe-Claire reconnaît discuter, mais minimise la discorde. « Le seul enjeu est celui des bassins déversant dans le réseau pluvial. La Ville attend les plans de la station Pointe-Claire de la part de la CDPQ Infra pour en faire l’analyse pour être en mesure d’en confirmer la conformité », écrit dans un courriel Marie-Pier Paquette-Séguin, coordonnatrice aux communications à la Ville de Pointe-Claire.

Il n’a pas été possible de parler au maire John Belvedere.

« Le REM est un projet de 67 kilomètres qui traverse 11 municipalités et 8 arrondissements, a souligné dans un entretien téléphonique Harout Chitilian, directeur de l’exécutif, affaires corporatives et développement, de CDPQ Infra. C’est un travail de tous les instants de travailler avec les municipalités. Dans certains cas, il y a des enjeux. Quand ça arrive, on travaille ensemble pour trouver des solutions. »

Cette partie de bras de fer entre des villes et l’équipe du REM survient dans un contexte où les intervenants municipaux se sont fait bousculer depuis le lancement du projet par CDPQ Infra. Cette dernière dispose de pouvoirs extraordinaires en vertu de la Loi sur le REM pour construire son train selon un échéancier très serré. Un article de la collègue Kathleen Lévesque étayait cette situation en mars dernier.

Tronçon aérien

Un exemple parmi d’autres de l’unilatéralisme qu’elles reprochent à la Caisse de dépôt dans ce dossier, Pointe-Claire et Kirkland ont confirmé à La Presse n’avoir jamais été consultées quand la décision fut prise, à la fin 2017 ou au début 2018, d’abaisser la hauteur du tronçon aérien du REM de l’antenne Sainte-Anne-de-Bellevue de 15 mètres à 6 mètres en moyenne.

« La Ville de Pointe-Claire a seulement été avisée de l’abaissement de la structure aérienne du REM une fois les travaux entrepris », précise Marie-Pier Paquette-Séguin.

« C’est en juillet ou en août 2018 qu’on a appris que la hauteur du tronçon a été abaissée », dit pour sa part M. Sanalitro, de la Ville de Kirkland.

CDPQ Infra ne nie pas les faits, mais tient à les mettre en contexte. « Le projet a connu plusieurs évolutions. On a commencé avec une proposition en 2016. Il y a eu le BAPE, le décret, puis l’appel d’offres », explique M. Chitilian.

Comme dans tous les projets, suite à l’appel d’offres, il y a eu certains ajustements qui ont été faits pour sauver le projet et rendre le projet réalisable.

Harout Chitilian, de CDPQ Infra

L’abaissement du tronçon a pour effet de compliquer le prolongement éventuel du boulevard Jacques-Bizard jusqu’à l’autoroute 40, explique, au téléphone, le maire de Dollard-des-Ormeaux, Alex Bottausci. Il s’agit d’un axe nord-sud, longtemps réclamé par les villes avoisinantes, qui se glisserait entre les boulevards Saint-Jean et Saint-Charles.

« À cause du REM, on ne peut plus construire un viaduc, il faut construire une sorte de tunnel », a confié le maire de Dollard-des-Ormeaux. Le conseil de cette ville a voté en février dernier une résolution demandant le prolongement de Jacques-Bizard au ministère des Transports.

Pointe-Claire fait valoir que d’autres solutions existent à part le tunnel, mais ces options imposeront des coûts supplémentaires importants à l’agglomération de Montréal.

— Avec Bruno Bisson, La Presse

Les réactions à notre enquête à l’Assemblée nationale

La première antenne sera livrée en 2021. J’ai entièrement confiance à la Caisse de dépôt pour livrer le projet. Ce qui m’interpelle, c’est de m’assurer que les mesures de mitigation vont fonctionner.

François Bonnardel, ministre des Transports

C’est un énième exemple de projet en PPP qui nous a été vendu comme exceptionnellement efficace et rapide  alors qu’on le voit, ce n’est pas vrai. C’est démontré encore ce matin [hier] que le PPP est une formule qui permet à tout coup de construire des infrastructures plus rapidement et plus efficacement.  C’est juste invalidé par les faits.

Gabriel Nadeau-Dubois, député de Québec solidaire 

C’est une mauvaise organisation gouvernementale. L’organisation de l’échéancier, des travaux, a été mal faite.  On a posé des questions en Chambre et on nous a dit que tout était correct.

Pascal Bérubé, chef par intérim du Parti québécois

Il y a eu des craintes sur plusieurs échéanciers : même le pont Champlain, ç’a été retardé de quelques mois. C’est toujours possible dans ce genre de projet là. Mais le plus vite sera le mieux, parce que les gens attendent le REM avec impatience.

Pierre Arcand, député du Parti libéral du Québec

Il y aura toujours des défis dans la réalisation de projets de cette ampleur. Nous sommes confiants que le projet avance comme prévu.

François-Philippe Champagne, ministre fédéral sortant de l’Infrastructure, par l’entremise de son attaché de presse 

Propos recueillis par Martin Croteau, La Presse

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Avec les complications du tunnel du mont Royal et les retards évoqués par NouvLR dans le rapport obtenu par La Presse, la facture du Réseau express métropolitain devrait excéder les 7,5 milliards, selon nos informations.

Maintenant un projet de plus de 7,5 milliards

Les dépassements de coûts envisagés pour le REM avec le tunnel du mont Royal, entre autres, pourraient faire grimper la facture totale à plus de 7,5 milliards de dollars. Officiellement, le Réseau express métropolitain (REM) est un projet de 6,3 milliards, répète CDPQ Infra, filiale de la Caisse de dépôt, dans ses documents.

Toutefois, quand on ajoute l’ensemble des sommes injectées par les organismes publics, les coûts du projet grimpent à 7,2 milliards. Et avec les complications du tunnel et les retards évoqués par NouvLR dans le rapport obtenu par La Presse, la facture devrait excéder les 7,5 milliards, selon nos informations.

L’investissement de 6,3 milliards diffusé publiquement englobe la participation initiale de la Caisse (2,95 milliards) et celles des gouvernements du Québec et du Canada (1,28 milliard chacun). À ces sommes, il faut ajouter la contribution d’Hydro-Québec (338 millions) et la compensation versée directement par Québec pour la plus-value foncière qu’engendrera le REM pour les villes (512 millions).

Cette information se trouve aux budgets de mars 2017 et de mars 2018 du gouvernement du Québec et dans un décret gouvernemental adopté le 21 mars 2018. Total précis : 6,37 milliards.

Contributions connexes

Or voilà, une série d’autres contributions du gouvernement du Québec ont été nécessaires pour financer le projet. Québec a dû avancer 392 millions pour construire la gare de l’autoroute 40 et la bretelle de l’autoroute 10 ainsi que pour financer le déplacement des conduites d’eau et égouts, entre autres, selon ce qui est écrit au budget de mars 2018.

Le projet du REM a également obligé le gouvernement du Québec à injecter 168 millions pour financer le réseau transitoire de transport collectif pendant la fermeture du tunnel du mont Royal, notamment, nous a indiqué le ministère des Transports la semaine dernière.

Enfin, Québec a fait un chèque de 45 millions à l’exploitant du train de banlieue Exo parce que la vente du tunnel et de la ligne Deux-Montagnes à la Caisse s’est faite sous sa valeur comptable, selon un décret adopté en mars 2019.

Nouveau total : 6,98 milliards, dont 2,4 milliards viennent directement du gouvernement du Québec et 1,3 milliard, du fédéral.

Autre élément : récemment, on a appris qu’un organisme quasi public devait lui aussi allonger beaucoup d’argent pour financer le projet du REM, soit Aéroports de Montréal (ADM). Ainsi, l’organisme investira lui-même 250 millions pour construire la gare qui accueillera les trains du REM, a indiqué ADM dans un communiqué de juillet dernier.

En clair, avant même les dépassements de coûts évoqués par NouvLR dans le rapport obtenu par La Presse, le projet du REM s’élève maintenant à 7,23 milliards.

Selon nos sources, les surcoûts qu’engendreront les complications du tunnel et les retards dans la mise en service devraient se calculer en centaines de millions, ce qui ferait passer la facture globale à plus de 7,5 milliards.

Hier, au cours d’un entretien téléphonique, le porte-parole de CDPQ Infra, Harout Chitilian, continuait d’affirmer que le coût du projet n’excéderait pas 6,3 milliards.

PHOTO FOURNIE PAR LE MUSÉE DES POMPIERS AUXILIAIRES DE MONTRÉAL

Un conducteur est mort et de nombreux pompiers ont été blessés dans un terrible incendie qui a fait rage à la station Henri-Bourassa, le 9 décembre 1971.

Des pompiers marqués par un incendie dans le métro en 1971

Ce n’est pas pour rien que les pompiers imposent des travaux majeurs dans le tunnel du mont Royal avant l’ouverture du REM, comme l’a révélé La Presse hier. Leurs dirigeants sont marqués par un terrible incendie mortel qui avait fait rage pendant 19 heures dans le métro en 1971. Ils en ont tiré des leçons importantes en matière de sécurité, et ils les appliquent à la lettre.

« C’était un vrai cauchemar », raconte Gordon Routley, assistant-directeur du Service de sécurité incendie de Montréal (SIM), en se remémorant le feu qui avait éclaté à la station Henri-Bourassa, quelques années après l’ouverture du métro.

M. Routley était un jeune pompier stagiaire de 21 ans à l’époque. Il a participé aux efforts désespérés pour maîtriser ce brasier historique. Il est ensuite devenu ingénieur en protection des incendies, a travaillé aux États-Unis et est maintenant reconnu comme l’un des experts nord-américains en incendies de tunnels.

Aujourd’hui, il dirige l’équipe de pompiers qui travaille avec le consortium NouvLR dans le cadre de la construction du Réseau express métropolitain (REM). Les pompiers ont des exigences élevées en matière de sécurité pour ce projet qui fera passer des trains toutes les 2 min 30 s dans le tunnel.

Un mur coupe-feu

La Presse a révélé hier le contenu d’un rapport confidentiel de NouvLR, qui affirme que l’ampleur des travaux requis dans le tunnel fera bondir les coûts et repoussera la mise en service du principal segment de près de deux ans (la Caisse conteste toutefois la position du constructeur).

Les travaux comprennent l’installation d’un long mur coupe-feu dans le tunnel de 5 km, afin de séparer les trains qui vont vers le nord de ceux qui vont vers le sud. Le tunnel sera ainsi séparé en deux couloirs distincts. En cas d’incendie d’un côté, les passagers pourront se réfugier dans l’autre couloir, pendant qu’un système de ventilateurs évacuera la fumée du couloir sinistré.

Sans vouloir discuter de ce que construira vraiment NouvLR au final, Gordon Routley souligne qu’il est impératif de prévoir un espace sécuritaire pour les passagers et un moyen d’évacuer la fumée sécuritairement. Il faut aussi que les pompiers aient accès à de l’espace de travail, de l’éclairage, des systèmes de communication et un agent d’extinction (comme de l’eau) dans le tunnel.

Aveugles dans un tunnel enfumé

Les pompiers n’avaient accès à rien de tout ça le soir du 9 décembre 1971.

À la fermeture du métro, le conducteur Gérard Maccarone voulait stationner son train, mais il est allé frapper accidentellement une rame déjà stationnée au bout de la ligne. Un incendie a éclaté. Le conducteur était coincé dans sa cabine.

Rapidement, la fumée épaisse a envahi le tunnel. La chaleur commençait à monter. Le conducteur pris au piège appelait à l’aide, terrorisé.

Il n’y avait pas d’eau dans le tunnel. Nous sommes allés chercher les boyaux, et nous les avons descendus à la main dans l’escalier. Il fallait descendre 1000 pieds jusqu’à la station et tirer, tirer, tirer.

Gordon Routley, assistant-directeur du Service de sécurité incendie de Montréal

À un certain point, il a fallu couper l’alimentation électrique de la rame de métro. Mais en coupant le courant, on coupait aussi l’éclairage et la ventilation.

« Il y a eu un mur de fumée et nous n’avions plus de lumière », explique M. Routley.

Aveugles dans la chaleur intense et l’air irrespirable, les combattants du feu ont dû reculer. Certains se sont perdus une trentaine de minutes dans le tunnel obscur, sans contact avec l’extérieur. Un superviseur, désorienté, n’est ressorti qu’à la station Sauvé, beaucoup plus loin. Il faisait si chaud que des morceaux de béton se détachaient des murs.

PHOTO FOURNIE PAR LE MUSÉE DES POMPIERS AUXILIAIRES DE MONTRÉAL

Le feu a fait rage pendant 19 heures et a détruit 24 voitures de métro à la station Henri-Bourassa.

« Il a fallu laisser le conducteur. Il est décédé là-dedans. C’était vraiment triste », se souvient M. Routley. Le journal Montréal-Matin rapportait le lendemain que le malheureux avait crié à l’aide pendant 20 minutes. Son corps était carbonisé lorsqu’il a été retrouvé.

Le feu a fait rage pendant 19 heures et a détruit 24 voitures de métro. Plusieurs pompiers ont été blessés. Le chef du Service de sécurité incendie de l’époque, René Plaisance, dirigeait personnellement les opérations sur place. Il a finalement décidé d’inonder les tunnels pour venir à bout des flammes.

Environ 1,2 million de gallons d’eau ont été déversés en quatre heures, jusqu’à ce que le niveau monte assez dans le souterrain pour tout éteindre.

Il faut être prêts

Le bilan était désastreux. L’affaire a fait l’objet d’une enquête publique et plusieurs spécialistes l’ont étudiée partout en Amérique du Nord. Au fil des ans, d’autres incendies de tunnels à San Francisco, Baltimore et Washington ont aussi permis aux experts d’élaborer des normes très précises de sécurité pour les tunnels.

C’est sur cette expérience que se basent encore Gordon Routley et ses collègues dans leurs discussions sur le REM.

« Je suis le seul qui était là en 1971 et qui est encore en devoir. La plupart des pompiers d’aujourd’hui n’étaient pas nés », dit-il.

Pour lui, la leçon la plus importante du drame est que même si les incendies de tunnels sont rares, ils ne sont pas inexistants. Et qu’il faut être prêt à leur faire face.

« On fait tout ce qui est possible pour prévenir. Mais ça arrive. Il faut toujours penser : et si jamais… »