«On a un pont! On a un pont, Doreen!», s’est exclamée la mairesse de Montréal, Valérie Plante, avec son exubérance caractéristique, lorsqu’invitée à prendre la parole après sa collègue mairesse de Brossard, Doreen Assaad, à l’inauguration officielle du pont Samuel-De Champlain, vendredi.

Plusieurs dignitaires de tous les niveaux de gouvernement avaient été conviés vendredi matin au-dessus du fleuve Saint-Laurent, entre Montréal et Brossard, pour couper le traditionnel ruban de ce qui n’est toujours qu’un pont à demi ouvert.

Accessible en direction nord depuis lundi dernier, la structure sera enfin carrossable dans les deux directions à compter de lundi prochain, jour de la fête du Canada, soit avec six mois de retard sur l’échéancier initial et 57 ans jour pour jour après l’inauguration du premier pont Champlain, le 28 juin 1962.

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Un buste en bronze de Samuel De Champlain a également été dévoilé.

Bénédiction autochtone, hymne national, multiples discours, traversée symbolique du nouveau pont Samuel-De Champlain étaient au menu de l’événement présidé par le ministre fédéral de l’Infrastructure, Francois-Philippe Champagne, qui a également dévoilé un buste en bronze de Samuel De Champlain qui occupera une place qui reste à être déterminée sur le pont éponyme.

Leçons du passé

L’élégant ouvrage offre un contraste frappant aux côtés de la piteuse structure rapiécée qu’il remplacera et le ministre Champagne n’a pas manqué d’y faire allusion.

«Si le passé nous a appris quelque chose, c’est certainement la nécessité de bâtir des infrastructures durables, modernes et de qualité pour toutes les générations à venir», a-t-il lancé.

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Le ministre fédéral de l’Infrastructure, Francois-Philippe Champagne, félicite les travailleurs qui ont construit le pont.

Les vrais héros

Malgré cette présence du gratin politique, ce sont les travailleurs qui ont été mis en vedette. Le petit groupe d’entre eux qui avait été invité pour l’occasion a été salué, remercié et félicité par tous les orateurs. Ces travailleurs ont même eu droit à des ovations debout à plus d’une reprise.

«C’est vraiment une belle fleur qu’on nous fait», a déclaré Jean-Philippe Dubé, un monteur d’acier qui ne cachait pas sa fierté après trois ans et demi de labeur sur l’ouvrage.

François-Philippe Champagne a d’ailleurs reconnu qu’ils avaient oeuvré sur un «chantier complexe et exigeant».

«C’était assez dur par bouts parce qu’on faisait des grosses journées, beaucoup d’heures», a raconté Alex Kaiser, aussi monteur d’acier.

«Avec les grosses chaleurs accablantes, on buvait beaucoup d’eau. L’hiver avec les froids, c’était quelque chose…» a-t-il laissé tomber.

Jean-Philippe Dubé se rappelait aussi ces matins glaciaux. «Sur le fleuve, le matin avec un frimas, tu t’en vas dans le brouillard, le bateau y va doucement, c’est glacé un peu sur les bords… tu redoubles de vigilance», s’est-il remémoré. Il a expliqué avoir travaillé à l’installation de pièces de 300 pieds de long pesant 650 000 livres ainsi qu’à l’installation de la première base de béton au fond de l’eau, une bagatelle de 850 tonnes.

«Il y a des choses historiques qui se sont passées ici pour tous les métiers», a fait valoir le monteur d’acier avec un large sourire.

Parole de bleuet

Bien qu’il n’ait pas pris la parole, l’initiateur du projet, l’ex-ministre conservateur Denis Lebel, était aussi l’un de ces héros que tous ont salué.

En conversation sur le pont avec La Presse canadienne, M. Lebel dit n’avoir jamais douté de la réalisation du projet «après avoir donné ma parole de bleuet».

Plusieurs avaient critiqué la décision fédérale d’en faire un pont à péage, décision qui a été renversée par le gouvernement Trudeau, mais l’ancien ministre a rappelé que «s’il n’y avait pas eu de principe de péage, il n’y aurait jamais eu de pont».

C’est en effet à cause de cette forme de financement qu’il avait obtenu le feu vert du ministre des Finances d’alors, le regretté Jim Flaherty, et du premier ministre Stephen Harper.

«Que le péage soit enlevé aujourd’hui, je laisserai l’histoire en juger. Pour moi l’essentiel c’était de bâtir un pont. J’ai pris les moyens nécessaires pour y arriver et ce n’était pas évident. Le support dans le caucus, au tout début, n’était pas là, mais on y est arrivé grâce à la confiance du premier ministre Harper et de M. Flaherty.»

Litiges en cours

Le contrat conclu entre le gouvernement fédéral et le constructeur, le consortium Signature sur le Saint-Laurent (SSL) dirigé par SNC-Lavalin, prévoit de lourdes pénalités de 100 000 $ par jour de retard pour les sept premiers jours et 400 000 $ par jour pour les jours suivants, avec un maximum de 150 millions. Certains observateurs estiment que cette pénalité pourrait tourner autour de 75 millions, puisque l’ouvrage devait être livré en décembre dernier.

Il est toutefois impossible pour qui que ce soit de déterminer l’ampleur d’une éventuelle sanction financière à ce moment-ci, puisque la question fait l’objet d’un litige légal.

«Je l’ai toujours dit: s’il y a des retards, il y aura des conséquences», a répété pour une énième fois le ministre Champagne.

«En parallèle de la célébration d’aujourd’hui, nos avocats, nos ingénieurs travaillent sur les réclamations de part et d’autre. Grand chantier veut dire qu’à la fin, il y a toujours des éléments d’ajustement», a avancé M. Champagne, tout en promettant la transparence sur le processus de litige et son résultat.

Vélo hivernal

Le ministre fédéral a par ailleurs profité de l’occasion pour annoncer que la voie réservée aux piétons et cyclistes, qui doit être ouverte à la fin de l’été ou à l’automne, sera accessible 12 mois par année, ce qui fera du pont Samuel-De Champlain «le premier lien hivernal sur le Saint-Laurent» pour les vélos.

M. Champagne a également ajouté que la Société des ponts Jacques-Cartier et Champlain planche sur la possibilité de créer un autre lien hivernal pour les vélos, ce qui ne peut qu’impliquer le passage piétonnier du pont Jacques-Cartier.

Ouvrage colossal

Plus de 2000 personnes ont oeuvré à la réalisation de l’élégante structure à haubans, y consacrant plus de 8,5 millions d’heures de travail, souvent dans des conditions hivernales glaciales ou par grande canicule.

L’ouvrage de 4,2 milliards qui s’étend sur 3,4 kilomètres accueillera véhicules automobiles et autobus pour l’instant, ces derniers devant être remplacés par le REM qui occupera la travée centrale conçue spécifiquement pour le recevoir. La voie pour les piétons et cyclistes comprendra aussi des belvédères pour admirer la métropole.

Les travaux de déconstruction de ce qu’il faudra désormais appeler l’ancien pont Champlain doivent débuter en 2020 et dureront environ trois ans. Ces travaux sont estimés à 400 millions.