Quelle bonne nouvelle d’apprendre que la Ville de Montréal obtient une partie des terrains du site de Molson Coors devant accueillir des milliers de nouveaux logements. La Ville entend utiliser ces terrains pour y aménager un parc, une promenade fluviale et y construire un centre communautaire et une école. L’entente prévoit également la construction de logements sociaux, abordables et familiaux.

On savait que les terrains où sont situés les bâtiments de Molson Coors étaient à vendre. La célèbre brasserie a décidé de déplacer ses activités à Longueuil. On a appris à la fin du mois de janvier qu’un important promoteur, un consortium formé de Groupe Sélection et de Groupe Montoni, envisageait de faire l’acquisition des terrains pour y construire de 3000 à 4000 logements. Ce projet sera, avec le développement près de la tour de Radio-Canada, la pierre angulaire du nouveau quartier des Faubourgs.

Mais comment l’administration de la Ville a-t-elle réussi ce tour de force ? En mettant ses culottes, tout simplement !

En effet, Montréal a annoncé en novembre dernier qu’elle s’était dotée d’un droit de préemption sur les terrains de l’usine Molson Coors, ce qui lui permettait d’égaler toute offre d’achat du terrain de l’usine Molson Coors.

La Ville de Montréal a ce pouvoir depuis l’entrée en vigueur de la Loi sur la métropole en septembre 2017, sous Denis Coderre. L’annonce de novembre ne visait pas uniquement les terrains de Molson Coors : en tout, près de 90 terrains de la ville ont été ciblés. Une première ! Cette question intéresse vivement Danielle Pilette, professeure au département de Stratégie, responsabilité sociale et environnementale de l’UQAM, avec laquelle je me suis entretenu hier.

Mme Pilette a tenu d’abord à me préciser que les municipalités du Québec pouvaient se prévaloir d’un droit issu de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme qui stipule qu’une ville peut obtenir 10 % d’un terrain (en superficie ou en valeur) lors de l’opération cadastrale. « Mais c’est clair que le droit de préemption offre plus, m’a-t-elle dit. Il offre un pouvoir de négociation à la Ville de Montréal. »

Ce pouvoir de négociation, c’est sans doute ce que vise l’administration Plante en agissant ainsi. Dans le cas de la vente des terrains de Molson Coors, on a pu, avec les propriétaires et le promoteur, établir un rapport de force et ainsi doter cet important projet résidentiel d’une infrastructure solide. Bref, on a décidé de travailler en amont plutôt qu’en aval.

On a surtout voulu éviter les erreurs de Griffintown, où on avait fait pousser des tours d’habitation comme des champignons avant de se rendre compte que le secteur souffrait de graves lacunes en matière d’infrastructures afin de pouvoir y accueillir les familles ou offrir aux résidants une qualité de vie qui correspond aux valeurs et aux besoins du XXIe siècle.

Dix ans après le début des grands chantiers de Griffintown, on découvre qu’il manque de gros morceaux aux quartiers neufs de ce secteur.

On doit donc ajouter des parcs et refaire l’aménagement de certaines rues pour satisfaire les citoyens. Résultat : il en coûtera 300 millions de dollars à la Ville pour ajuster le tir. Cette somme aurait été nettement plus basse si une véritable réflexion avait eu lieu au départ.

Danielle Pilette m’a rappelé avec beaucoup de justesse que Montréal n’était pas seulement une métropole. C’est aussi une vieille ville, avec de vieux bâtiments, de vieilles infrastructures. Raison de plus pour redoubler de précautions avant de s’emparer de centaines de milliers de mètres carrés et d’y construire des immeubles. On va les mettre où exactement, ces immeubles ? On va les entourer de quoi ? On veut y attirer quels citoyens ?

Dans La vie dans l’espace public, un ouvrage fabuleux lancé récemment (que tous les élus municipaux devraient avoir sur leur table de chevet), on écrit en introduction : « Les architectes et les urbanistes prennent soin de l’espace, mais oublient souvent de penser à la vie. » Cette vérité est également bonne pour les promoteurs.

Le message qu’envoie la Ville de Montréal en faisant ce geste, c’est : si vous n’êtes pas capables de penser à la vie des citoyens, nous allons le faire pour vous ! « Il faut que les promoteurs comprennent que leur rôle comporte une responsabilité sociale », m’a dit Danielle Pilette.

Récemment, lors d’une conversation fort instructive avec un urbaniste, je lui demandais à quoi servait exactement son métier en 2019. Il a soupiré et il m’a dit : « À plus grand-chose… On s’est fait damer le pion par les environnementalistes. »

Son constat m’a fait réaliser à quel point les urbanistes, les architectes, les environnementalistes et les promoteurs travaillent trop souvent en vase clos. Et que l’avenir des villes passe par une synergie renouvelée de ces forces. En tout cas, il semble que certaines personnes à la mairie aient compris cela.

Un sujet de chronique ? Une situation à dénoncer ? Écrivez-moi : mario.girard@lapresse.ca

La vie dans l’espace public

Jan Gehl et Birgitte Svarre

Écosociété

PHOTO FOURNIE PAR LA MAISON D’ÉDITION

La vie dans l’espace public, de Jan Gehl et Birgitte Svarre