Alors que les Hells Angels sont en pleine campagne de visibilité au Québec, la Ville de Montréal nomme une de leurs bêtes noires au poste d'inspectrice générale. Reconnue pour frapper « où ça fait mal », Brigitte Bishop a fait saisir des bunkers de motards. Et elle veut tenir les bandits le plus loin possible des contrats publics montréalais. Anciens collègues et adversaires s'entendent pour dire qu'elle semble la personne toute désignée pour ce boulot.

Elle a été choisie unanimement parmi 10 candidats. La nouvelle inspectrice générale de Montréal, qui sera chargée de surveiller les contrats de la Ville et d'y détecter toute malversation, a été officiellement nommée hier. Elle a accepté sa nomination avec humilité, alors que son amoureux venait de lui apporter des fleurs et que son fils se tenait fièrement tout près d'elle.

« Je vais faire tout mon possible pour être à la hauteur de la confiance qu'on me porte. » - Brigitte Bishop, en sortant de la salle du conseil municipal

Fille d'un policier de la Gendarmerie royale du Canada, ancienne procureure de la Couronne spécialiste du crime organisé, Me Bishop travaillait comme inspectrice générale adjointe depuis 2017. Elle voit le Bureau de l'inspecteur général (BIG) comme un outil, un de plus, dans le grand combat contre le crime et la corruption.

« On rajoute des outils dans le coffre à outils, mais les valeurs, les objectifs restent les mêmes. C'est toujours le même domaine, celui de la lutte pour l'intégrité et contre la corruption », avait-elle expliqué un peu plus tôt lors d'un entretien avec La Presse.

Dans son entourage, elle avait expliqué clairement son objectif en postulant pour le poste : maintenir la pression sur les criminels et les entrepreneurs mal intentionnés pour leur faire mal et les empêcher de reprendre le terrain qu'ils ont déjà pu occuper dans l'économie montréalaise.

LES HELLS BOMBENT LE TORSE

Il y a quelques années, la commission Charbonneau avait mis au jour l'ampleur de l'infiltration du crime organisé dans les chantiers de la Ville : des bonzes de la mafia avaient été filmés par la police en train de se partager des liasses d'argent apportées par les entrepreneurs. Un ingénieur de la Ville avait raconté ses parties de golf avec le parrain Vito Rizzuto. Un témoin avait expliqué que 75 % des Hells Angels étaient propriétaires d'une entreprise légale, dont plusieurs dans l'industrie de la construction.

Forts de plusieurs victoires devant les tribunaux récemment, les Hells Angels se font d'ailleurs très visibles sur le terrain au Québec ces derniers temps, avec des fêtes et des démonstrations publiques spectaculaires. Selon les renseignements policiers, ils dominent comme jamais l'écosystème du crime organisé québécois.

SPÉCIALISTE DES SAISIES

Brigitte Bishop connaît cet univers. Titulaire d'un diplôme de deuxième cycle en lutte contre la criminalité financière, elle s'est longtemps spécialisée dans la confiscation et la saisie des avoirs des criminels. Elle a fait confisquer plusieurs bunkers un peu partout au Québec, symboles de la guerre des motards qui ont fini pour la plupart sous le pic des démolisseurs. Mais elle aussi fait saisir de cossues résidences, de vastes propriétés, et une quantité presque inchiffrable de motocyclettes, véhicules, bijoux, objets de luxe, argent.

Elle n'a jamais cru que le seul moyen de punir un bandit, c'est de l'envoyer en prison. Autant elle pouvait saisir les biens des motards à l'époque, autant elle pourra annuler les contrats des entreprises malhonnêtes à titre d'inspectrice générale.

« Ces gens-là font des crimes pour le pouvoir et l'argent. Si on leur enlève l'argent, on punit et on dissuade. » - Brigitte Bishop

« Quand on entre dans une salle de cour, c'est une adversaire redoutable, elle connaît son dossier, elle connaît son droit, et elle sait où ça fait mal », souligne la criminaliste Mylène Lareau, qui défendait des motards et s'est retrouvée face à Me Bishop dans la cause de la confiscation du bunker de Lennoxville.

« COURAGE ET INDÉPENDANCE »

« Elle est particulièrement énergique. Ce n'est pas quelqu'un d'amorphe, elle a du gaz », ajoute Me Gilles Doré, qui représente plusieurs clients dans des dossiers de crime organisé. Ce dernier loue particulièrement « le courage et l'indépendance » de la procureure, deux qualités « dont elle aura bien besoin » dans ses nouvelles fonctions, selon lui.

« Elle était impliquée dans de grosses affaires. Lorsqu'elle s'était fait une idée sur son dossier, ce qui la caractérisait, c'était son indépendance et son courage, vis-à-vis de la défense, mais aussi vis-à-vis de son bureau à elle », dit-il.

« Si elle pensait qu'une chose devait être faite, elle la faisait. Que ça plaise ou non aux donneurs de directives en haut. » - Me Gilles Doré

Une de ses anciennes collègues au Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), Josée Veilleux, souligne aussi que Me Bishop était une mentore pour de plus jeunes procureurs.

« La relève, c'est important pour elle. Elle va te montrer non seulement ce qu'on apprend dans les livres, mais aussi la réalité de la vie de tous les jours, pour que les choses fonctionnent. Elle a de l'imagination juridique à revendre et elle a le doigté magique », dit-elle.

SUCCÉDER À GALLANT

Après avoir quitté le DPCP en 2011, Brigitte Bishop est devenue conseillère juridique à la Sûreté du Québec, où les policiers la surnommaient affectueusement « B.B. » en référence à ses initiales. Un policier qui l'a côtoyée souligne, sous le couvert de l'anonymat, qu'une personne avec « autant de drive, autant de caractère », ne fera jamais l'unanimité, mais que tout le monde reconnaissait sa compétence.

« Elle était là pour donner des opinions sur les pratiques policières, les protocoles. Mais elle en menait large et ses opinions étaient essentiellement une forme de supervision », lance en riant un autre ancien collègue procureur, Me François Brière.

« Elle chaussera très bien les souliers de Denis Gallant », ajoute-t-il, en référence au précédent inspecteur général, le premier à avoir occupé le poste, qui est parti diriger la toute nouvelle Autorité des marchés publics à Québec.

Joint hier, ce dernier s'est réjoui de la nomination de son ancienne inspectrice adjointe. Denis Gallant est lui aussi un ancien procureur du DPCP. Mais il se souvient que Brigitte Bishop ne l'avait jamais appelé pour discuter de sa candidature lorsqu'elle avait postulé pour le poste d'inspectrice adjointe, en 2017.

« C'est tout à son honneur. Elle ne m'a même pas avisé qu'elle appliquait. Elle est passée en entrevue, alors qu'il y avait beaucoup d'autres candidats de très bonne qualité, et elle a été retenue. J'ai toujours été satisfait de son travail, et je suis bien content qu'une femme soit nommée à ce poste ! », a-t-il déclaré.

- Avec la collaboration de Pierre-André Normandin, La Presse

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LA MISSION DU BIG

1. Surveiller l'attribution des contrats par la Ville et leur exécution.

2. En lien avec les contrats municipaux, recommander toute mesure qui favorise le respect de la loi, de l'intégrité et des exigences de la Ville.

3. Vérifier l'application de ces mesures si elles sont adoptées par le conseil municipal.

4. Former les élus et fonctionnaires afin qu'ils préviennent les manquements à l'intégrité.

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LA CARRIÈRE DE Me BRIGITTE BISHOP

1991-2011 : Procureure aux poursuites criminelles et pénales. Participe à plusieurs procès d'envergures, dont l'un des mégaprocès des motards arrêtés dans l'opération Printemps 2001.

2011-2017 : Conseillère juridique à la Sûreté du Québec

2017 : Inspectrice générale adjointe au Bureau de l'inspecteur général (BIG) de Montréal

2018 : Succède à Denis Gallant comme inspectrice générale.