Le projet de réfection de la bibliothèque Saint-Sulpice à Montréal est victime de la « surchauffe » du marché de la construction. Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) a annulé ses appels d'offres pour transformer ce lieu patrimonial en une bibliothèque pour adolescents et un laboratoire de fabrication.

Cette situation est toutefois temporaire, précise avec soin Danielle Chagnon, directrice générale de la Grande Bibliothèque. Après avoir reçu des soumissions bien au-delà de ce qui était prévu pour certains appels d'offres, elle a décidé de les annuler pour mettre en place « les meilleures options pour continuer [ce] projet », dont le budget total de 24 millions est partagé entre le gouvernement du Québec et la Ville de Montréal.

« On sait qu'il y a eu de la surchauffe en construction cet été. Le carnet de commandes des entrepreneurs était très rempli avec tout ce qui se fait dans les écoles, avec l'échangeur Turcot, le pont Champlain, avec les routes et les autres édifices », analyse Mme Chagnon.

Pour un appel d'offres, soit celui visant les travaux de désamiantage de l'édifice, BAnQ n'a tout simplement reçu aucune soumission.

« Dans un marché normal, notre enveloppe budgétaire était la bonne. Il faut aussi souligner qu'on a fait nos appels d'offres pendant l'été, où la construction était au maximum à Montréal », affirme Danielle Chagnon.

« On n'a pas le droit de se tromper et c'est pour ça qu'on agit avec une très grande rigueur en prenant une pause dans le projet pour avoir les meilleurs prix », souligne la directrice générale.

De nouveaux délais

Après avoir conçu avec succès son projet, consulté les citoyens et organisé un concours d'architecture pour la mise à niveau du bâtiment, BAnQ prévoyait ouvrir sa nouvelle bibliothèque au printemps 2019. Or, l'annulation des appels d'offres retarde déjà l'ouverture officielle à 2020, au plus tôt.

Le sort de la bibliothèque Saint-Sulpice, inaugurée au coeur du Quartier latin de Montréal en 1915, fait la manchette depuis plusieurs années. En 2015, 10 ans après que BAnQ eut cessé ses activités dans l'édifice, le gouvernement du Québec l'avait discrètement mis en vente en utilisant une annonce anonyme dans les journaux.

Or, c'est grâce à la pression populaire que le ministère de la Culture et la Ville de Montréal s'étaient alliés à l'hiver 2016 pour investir les fonds nécessaires à sa réfection et à l'ouverture d'une bibliothèque moderne et innovante pour les jeunes.

« C'est une des premières bibliothèques publiques à avoir été construites, c'est un lieu exceptionnel, avec des vitraux exceptionnels et un mobilier magnifique. On doit réhabiliter cet édifice, on va réhabiliter cet édifice », promet Danielle Chagnon, de BAnQ.

Pas de ralentissement en construction avant 2020

Si l'équipe de la bibliothèque Saint-Sulpice espère recevoir de nouvelles soumissions à la baisse pour ses prochains appels d'offres, la pression exercée sur le marché de la construction à Montréal est loin de s'essouffler, explique François Bernier, vice-président principal aux affaires publiques de l'Association des professionnels de la construction et de l'habitation du Québec (APCHQ).

« La plupart des analystes estiment qu'il n'y aura pas de pause [dans le marché] en 2019, mais bien en 2020. On vit une conjoncture où tous les projets se font en même temps, particulièrement à Montréal. En fait, on vit un Québec à deux vitesses, avec de la construction de façon très intense dans la métropole et une situation plus équilibrée ailleurs en province », affirme-t-il.

En ce moment, « essayer de trouver un entrepreneur est très difficile. Je pense que c'est sage d'attendre que les conditions soient différentes », poursuit M. Bernier.

Natalie C. Smith, présidente du conseil d'administration de la section Québec de l'Association canadienne des experts-conseils en patrimoine, rappelle aussi que « rénover un édifice patrimonial, c'est entrer dans une machine à voyager dans le temps ».

« Les travaux peuvent rapidement devenir complexes parce qu'on n'a pas les dessins originaux. Puis, même quand on les a, il peut y avoir eu des changements à travers les années. [...] Mais ça vaut la peine ! C'est la mémoire du Québec », rappelle-t-elle.