Dans Rosemont-La Petite-Patrie, les briques comptent plus que les citoyens. C'est du moins l'avis exprimé par bon nombre des 561 propriétaires de maisons de type shoebox visés par un projet de règlement qui cherche à protéger ces habitations modestes, témoins de la vie ouvrière de Montréal.

Les shoebox ? Oui, vous les avez sans doute remarqués : ce sont de petites maisons d'un étage au toit plat, peu dégagées du sol, souvent coincées entre des duplex et des triplex.

Carlos Costa, 35 ans et père de deux jeunes enfants, en possède un, rue Clark, près de Beaubien.

« Avec ce règlement, l'arrondissement m'expulse de mon quartier, dit-il. Je n'aurai pas le choix, je vais devoir vendre. »

Sa maison, située entre un autre shoebox et un triplex, est dans un état de délabrement avancé : moisissures, affaissement des structures, odeurs d'humidité, murs et planchers de travers...

M. Costa y a déménagé à l'âge de 5 ans avec ses parents venus du Portugal. Et il y est revenu avec sa conjointe, il y a quelques années, à la mort de sa mère.

Son projet était de la démolir et de construire un triplex. Mais si le projet de règlement est adopté, il ne pourra sans doute pas le faire. Pourquoi ? Il y a trop de contraintes et cela fera grimper les coûts, déjà élevés : obligation de conserver la façade, de décaler un éventuel étage d'au moins un mètre par rapport au rez-de-chaussée, de conserver le couronnement sur le toit et d'en ajouter un autre à l'étage, pas le droit de mettre un escalier extérieur, ni de construire plus haut que le voisin, ni d'ajouter des fenêtres au sous-sol en façade...

Bref, on vous passe les détails, mais le projet de règlement comporte une série de mesures qui compliquent la vie des petits propriétaires, même si le but de l'arrondissement est de protéger le patrimoine bâti dit modeste, menacé par les promoteurs. Un objectif avec lequel les citoyens sont pleinement d'accord.

« Le pire, c'est que ce règlement a pour effet de dévaluer ma maison. Avant, on m'offrait 560 000 $. Aujourd'hui, après vérification, elle est à 320 000 $. »

- Carlos Costa

Wilfried Cordeau, 37 ans, aussi père de deux jeunes enfants, est dans la même situation. Il a fait l'acquisition de son shoebox en 2010.

Tout comme M. Costa, il songeait à entreprendre des travaux d'agrandissement quand l'arrondissement a adopté, en mai dernier, un moratoire sur les projets de démolition et de transformation des maisons comme la sienne dans Rosemont-La Petite-Patrie.

Avec sa conjointe, Solen Poirier, M. Cordeau a fait le tour du quartier pour inviter les autres propriétaires de shoebox à s'informer et à se mobiliser. Quelque 270 propriétaires échangent depuis des mois sur la page Facebook du groupe et déplorent le peu d'informations communiquées par l'arrondissement.

Le ton monte

Mercredi soir, ils étaient nombreux à s'être déplacés pour assister à la consultation publique organisée par la Ville un peu à la dernière minute. Le ton a monté à plusieurs reprises entre le maire François Croteau, les conseillers Christine Gosselin et François Limoges et les 150 citoyens présents.

M. Cordeau a profité de l'occasion pour déposer un mémoire de 25 pages, assorti de 17 recommandations, « qui donne une voix aux citoyens », a-t-il dit. « Le débat a eu lieu sur la place publique entre les représentants de l'arrondissement et les associations de patrimoine. Très peu de propriétaires ont été partie prenante du processus. »

Au coeur du problème, il y a les cotes nouvellement attribuées aux shoebox. Elles vont de 1 à 3. Plus la cote est élevée, plus la valeur de la maison est jugée grande et plus les règles imposées aux propriétaires qui désirent démolir, agrandir ou rénover sont contraignantes.

Seulement 12 % des 561 maisons ont reçu la cote 1 (peu de composantes d'origine). Les autres (88 %) ont été classées 2 ou 3. De nombreux propriétaires jugent subjective la méthodologie utilisée par les fonctionnaires et déplorent que la cote qu'on a attribuée à leur maison ne soit pas contestable. Dans leur évaluation, les fonctionnaires ont tenu compte de la qualité du couronnement, de l'authenticité de la façade, de la symétrie, de la maçonnerie, du porche et de l'environnement.

La maison délabrée de Carlos Costa a reçu une cote 3. Celle de M. Cordeau, en bien meilleur état, une cote 2.

« Si on veut protéger le patrimoine, je pense qu'il y a d'autres approches qui nous sont offertes », a dit Daniel Durand, architecte, spécialisé en patrimoine, et propriétaire d'une « maison de patrimoine modeste », comme il préfère appeler son shoebox. « La meilleure façon de faire, ce n'est pas d'imposer des contraintes aux propriétaires, mais d'adopter une approche non coercitive, en montrant de beaux exemples de rénovation. »

Les élus ont précisé que plusieurs des mesures du règlement sont déjà en vigueur depuis 2013. « Ce n'est pas complètement nouveau », a assuré la conseillère Christine Gosselin. « Le statu quo est pire, a ajouté le maire François Croteau. On veut vous faciliter la vie pour que votre projet, vous puissiez le réaliser le plus rapidement possible avec des règles claires. »

Un point sur lequel tout le monde n'est manifestement pas d'accord.

Le 5 novembre, il y aura une deuxième lecture du règlement qui sera adopté en décembre si tout se passe comme prévu.

Photo Edouard Plante-Fréchette, La Presse

La maison de Carlos Costa est dans un état de délabrement avancé : moisissures, affaissement des structures, odeurs d'humidité, murs et planchers de travers...

Photo Bernard Brault, La Presse

Solen Poirier et Wilfried Cordeau ont fait l'acquisition de leur shoebox en 2010.

Qu'est-ce qu'un shoebox ?

Les maisons de type shoebox ont été construites par des ouvriers au début du XXe siècle dans Rosemont, mais aussi dans Hochelaga, Villeray, Verdun et Saint-Michel. Certaines de ces maisons sont implantées en fond de lot : elles ont une cour avant plus importante que la cour arrière.

Combien y en a-t-il à Montréal ?

On en compte un millier à Montréal, dont la moitié dans Rosemont-La Petite-Patrie. Ces dernières années, certaines de ces maisons ont été achetées pour la valeur du terrain, avant d'être démolies pour faire place à des condos. C'est pourquoi l'arrondissement tente de les protéger.