Belle ou laide ? À vous de juger. Mais faites vite, car la façade du restaurant Khyber Pass de l'avenue Duluth va disparaître au plus tard le 30 novembre. La Ville oblige en effet le propriétaire de ce populaire restaurant du Plateau Mont-Royal à la démolir parce qu'elle a été construite illégalement en 2009.

« Chers clients, venez contempler la façade pendant qu'il est encore possible de le faire », peut-on lire sur la page Facebook du restaurant de cuisine afghane. La Ville oblige le restaurant à la « retirer puisque celle-ci n'est pas assez contemporaine et au goût des fonctionnaires de l'arrondissement. Quand une façade qui ne dérange en rien devient un dossier prioritaire pour la Ville, c'est très inquiétant ! ! ! ! »

Tollé

Aussitôt publié, hier, ce message a provoqué un véritable tollé : « Misère ! », « Honteux », « INCROYABLE ! », « Ridicule ! », « Quoi ? ? ? ? », « Aberrant », « N'importe quoi ! », « Pardon ? »... Étienne Lapalme a suggéré aux gens de téléphoner ou d'écrire au maire du Plateau Mont-Royal, Luc Ferrandez, pour se plaindre. D'autres, de contacter les médias.

« Cette décision est une honte à la diversité de l'arrondissement et au commerce local. Arrondissement du Plateau-Mont-Royal, on vous a connu plus tolérant et ouvert d'esprit que ça... Peut-on avoir le contenu du fameux règlement qui exige le retrait de la plus belle façade de la rue ? », a demandé Adeline Sicotte.

« Ben voyons donc ! Elle est parmi les plus belles façades de Montréal ! », a ajouté Marie-Claude Labrie.

Au bord des larmes

Dépassé par les événements, le propriétaire, Faruk Ramisch, ne sait pas quoi faire. « Si je ne démolis pas moi-même ma façade, la Ville m'a dit qu'elle allait le faire et me refiler la facture, a-t-il confié, assis à une table de son restaurant, au bord des larmes. Honnêtement, je ne savais pas que je devais demander un permis quand je l'ai faite, en 2009. Elle m'a coûté 50 000 $. Elle est tout en cèdre, chaque vis m'a coûté 2,50 $. »

C'est un architecte tunisien du nom de Sami Akrout qui a réalisé les travaux, en s'inspirant de l'architecture afghane.

Sur Facebook, les gens sont unanimes à dire que c'est une des très belles façades de restaurants de Montréal, mais le Comité consultatif d'urbanisme (CCU), appelé par la Ville à se prononcer en 2009, n'est pas de cet avis. Il a recommandé de refuser le projet en vertu du règlement sur les plans d'implantation et d'intégration architecturale.

Branle-bas

Depuis, c'est le branle-bas de combat entre la Ville et le propriétaire, qui a dû payer quelques amendes au fil des ans.

En avril 2010, le conseil d'arrondissement a refusé de lui remettre un permis, en accord avec les recommandations du Service d'urbanisme et du CCU. Un premier constat d'infraction a été délivré en novembre 2010. Le propriétaire a été reconnu coupable en novembre 2011, et la Ville a entamé des procédures judiciaires trois mois plus tard, en février 2012.

Cinq ans se sont écoulés avant que les autorités ne reviennent à la charge avec un nouveau constat d'infraction, en mai 2017. Le propriétaire a été reconnu coupable un mois plus tard pour la deuxième fois. Puis, en juillet dernier, il a accepté de signer une entente avec la Ville, s'engageant à refaire une façade en conformité avec le règlement.

Pas le choix

« Je n'ai pas eu le choix de signer, jure M. Ramisch. Si je ne signais pas, on menaçait de démolir ma façade. Pourtant, j'ai essayé de comprendre ce que la Ville n'aimait pas dans ma façade, mais on n'a pas voulu me répondre. On veut juste que j'enlève le bois. »

M. Ramisch n'entend toutefois pas se conformer.

« Qu'ils viennent l'enlever. Moi, je ne l'enlèverai pas. Est-ce que ça dérange mes voisins? Est-ce que c'est dangereux? Pourquoi, moi, je dois le faire et pas les autres? En face, la façade du commerce est aussi en bois. »

- Faruk Ramisch, propriétaire du Khyber Pass

L'arrondissement assure avoir tenté à de nombreuses reprises de trouver des solutions. « Malheureusement, le propriétaire n'a jamais proposé de compromis architectural, et ce, malgré plusieurs engagements non tenus dans le temps, culminant à cette dernière entente qu'il avait signée le 31 juillet dernier », écrit Michel Tanguay, chargé de communication, dans un courriel envoyé aux médias, hier après-midi.

Incompréhension

Malgré tout, M. Ramisch, qui est arrivé au pays il y a 45 ans et qui exploite ce restaurant depuis 22 ans, ne comprend pas. « Je n'ai jamais touché un sou de chômage ou de bien-être social depuis que je suis au Canada. J'ai travaillé toute ma vie comme un chien et je fais de mon mieux pour aider les démunis. »

Sa fille, Nadia Ramisch, enseignante, est en furie.

« Mon père a refait sa façade en toute bonne foi, insiste-t-elle. Il ne savait pas qu'il contrevenait à la loi. Il a fait faire des plans après coup, en 2009, mais la Ville trouve que la façade n'est pas belle. Elle veut qu'on revienne à la façade d'origine : du vieux crépi blanc et de la brique rouge. Pendant ce temps, la rue Duluth est à la dérive, elle est en train de mourir et l'arrondissement ne fait rien. »

De son côté, la Ville maintient que les règles architecturales s'appliquent à tous les commerçants et résidants du quartier, sans exception. « C'est pourquoi l'arrondissement déploie depuis plusieurs années des efforts importants afin de bien vulgariser ces règles et procédures, qui ont été maintes fois communiquées au propriétaire du restaurant, par écrit et en personne », ajoute M. Tanguay.