Exosquelettes pour les soldats. Drones ultrasophistiqués. Gilets pare-balles « intelligents ». Une cinquantaine de nouvelles technologies militaires seront testées au centre-ville de Montréal la semaine prochaine dans le cadre d'un exercice des Forces armées canadiennes. Des scientifiques de cinq pays veulent évaluer les limites des équipements des soldats de demain.

EXPÉRIENCES EN MILIEU URBAIN

Les Forces armées canadiennes et quatre pays alliés mèneront du 10 au 21 septembre un exercice militaire à Montréal, baptisé Expérience en environnement urbain contesté (EUC) 2018. Pas moins de 150 scientifiques et une centaine de soldats mettront à l'épreuve différentes technologies.

Les opérations seront principalement visibles rue de la Montagne, où des militaires - non armés - déambuleront sur les trottoirs munis de divers gadgets. Des expériences auront également lieu de nuit au belvédère Kondiaronk, au sommet du mont Royal, ainsi que près du Silo no 5, dans le Vieux-Port.

Le centre nerveux des opérations se trouvera au manège militaire Côte-des-Neiges, où les scientifiques analyseront l'ensemble des données colligées par les capteurs dont seront équipés les soldats.

50 TECHNOLOGIES À L'ESSAI

L'expérience permettra de tester 50 technologies à divers degrés d'avancement dans leur processus de développement. On testera notamment une veste balistique dite intelligente. Bourrée d'électronique, celle-ci cherche à faciliter les échanges d'informations entre les soldats sur le terrain et leurs supérieurs.

Un prototype de « poste mobile d'observation », alliant trois types de caméras, sera aussi mis à l'essai. « Il y a des systèmes de caméras faits pour fonctionner la nuit, mais en milieu urbain, il y a de l'éclairage artificiel. Les conditions d'illumination peuvent changer rapidement. Vous marchez dans une ruelle sombre et en tournant un coin de rue, vous avez des lumières en plein visage », illustre Patrick Maupin, directeur de l'expérience.

Un exosquelette permettant aux soldats de porter de lourdes charges ou de ménager leurs forces sur de longues distances sera aussi testé.

PRÊTES À UTILISER

Des technologies que certaines armées s'apprêtent à introduire dans leur arsenal seront aussi mises à l'épreuve. Des chercheurs américains feront la démonstration de l'efficacité d'un mur balistique léger, afin de remplacer les bons vieux sacs de sable.

Le fabricant affirme qu'un mur d'une trentaine de mètres de large peut être érigé en un peu plus de trois heures par quatre soldats, une fraction du temps qu'il faut normalement. Les chercheurs américains feront aussi une démonstration d'un système mobile de barrière pour véhicules. Léger, celui-ci peut être facilement déplacé afin de restreindre temporairement l'accès à des zones.

POURQUOI MONTRÉAL ?

Les scientifiques ont choisi de tester leurs technologies dans la métropole québécoise afin de mieux évaluer leur performance dans un environnement urbain réel. « On ne s'intéresse pas à Montréal en particulier, mais c'est un exemple de ville très dense, très diversifiée », explique Patrick Maupin.

Seul endroit où les soldats seront appelés à interagir directement avec la population, la rue de la Montagne a justement été choisie en raison des nombreux types de secteurs qu'elle traverse : des maisons isolées, un secteur commercial dense, ainsi que des tours de condos. Autant d'obstacles qui peuvent mettre en échec les nouvelles technologies.

PAS D'IMPACT POUR LES CITOYENS

Les responsables de l'expérience assurent que l'exercice ne sera pas intrusif. Pas question, par exemple, d'épier les conversations téléphoniques des citoyens. « On ne surveille pas les communications. Non, ça ne fait pas partie de l'expérience », dit Patrick Maupin.

L'exercice ne devrait pas avoir d'impact sur la circulation puisqu'aucun véhicule militaire ne sera testé. Aucune rue ne sera d'ailleurs fermée à la circulation. Deux appareils survoleront le centre-ville pour tester des systèmes de reconnaissance, mais aucun vol à basse altitude n'est prévu.

Les technologies testées ne représentent aucun danger pour la santé des Montréalais, assure-t-on également. Si l'un des appareils testés a pour tâche de détecter du matériel biologique dans l'air, il n'est évidemment pas question de tester le tout avec le bacille du charbon (anthrax).

Un produit inoffensif à base de blanc d'oeuf en poudre sera plutôt utilisé pour simuler un nuage biologique. « Il n'y a pas de risque pour la population », assure Patrick Maupin.

VIEIL ACCORD DE RECHERCHE

L'expérience se déroule dans le cadre d'un programme de recherche datant de 1957.

À l'époque, le Royaume-Uni, les États-Unis et le Canada avaient décidé de collaborer en recherche militaire afin de partager les coûts pour le développement de nouvelles technologies. L'Australie et la Nouvelle-Zélande se sont joints quelques années plus tard.

« C'est un groupe privilégié pour échanger à très haut niveau. Ça reflète aussi le fait que les conflits actuels sont rarement menés par un seul pays, mais le sont plutôt par des coalitions », explique Rémi Landry, professeur associé à l'Université de Sherbrooke.

EUC 18 est d'ailleurs la deuxième expérience du genre, la première ayant eu lieu en novembre 2017 à Adélaïde, en Australie. Deux autres sont prévues, en 2019 aux États-Unis et au Royaume-Uni en 2020.

DES TESTS IMPORTANTS

Ce type d'expérience en milieu urbain est important pour tester les limites des technologies, estiment des experts militaires consultés par La Presse.

« Ces nouvelles technologies, dans un labo, ça marche très bien, mais il faut utiliser cela dans des environnements complexes, qu'on ne maîtrise pas. Alors il faut tester ces capteurs et déterminer pourquoi ça ne marche pas », illustre Alexandre Vautravers, expert en sécurité de l'Université de Genève et rédacteur en chef de la Revue militaire suisse.

LE COMBAT URBAIN COMPLEXE

Les travaux de recherche sont menés en ville, puisque les opérations militaires s'y déroulent de plus en plus fréquemment.

« Le combat urbain est très épuisant. Ça demande énormément de ressources. Quand j'étais jeune officier, on disait que pour avancer en ville, il fallait avoir un ratio de 20 attaquants contre un défenseur », se rappelle Rémi Landry, lieutenant-colonel à la retraite des Forces canadiennes. Or les effectifs des armées modernes sont de moins en moins importants, imposant un recours accru à la technologie, note Alexandre Vautravers.

« Mais une chose typique des opérations militaires, note Patrick Maupin, en situation de combat, le belligérant qui a l'avantage technologique en perd une bonne partie en milieu urbain. »

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Budget consacré à la défense 


États-Unis: 843 milliards

Royaume-Uni: 60,1 milliards

Australie: 34,5 milliards

Canada: 20,4 milliards

Nouvelle-Zélande: 3,3 milliards

Sources : documents budgétaires des pays, en dollars canadiens