Longueuil vit des heures politiques difficiles. Après sept mois de cohabitation entre les élus majoritaires de l'opposition et la mairesse qui est minoritaire, il semble y avoir de moins en moins de terrains d'entente. Une séance extraordinaire du conseil municipal exigée par l'opposition se déroulera cet après-midi pour tenter de démêler l'écheveau, quelques heures avant l'assemblée ordinaire de ce soir. Explications et perspective.

Quel est l'enjeu actuel ?

Le 13 juin dernier, la mairesse Sylvie Parent et les membres du comité exécutif ont décidé de suspendre les commissions locales relevant du conseil municipal. La résolution adoptée indique que les mandats des commissions doivent être clarifiés et les travaux, mieux encadrés. On compte sept commissions locales dont les membres sont majoritairement issus de l'opposition. Sous l'impulsion de ces élus, le rythme des activités des commissions a beaucoup augmenté. Du coup, le budget qui leur est attribué risque de tripler d'ici à décembre prochain, prévoit l'administration. L'opposition plaide que les dossiers traités nécessitent plus d'attention.

Comment est-ce devenu une crise ?

L'opposition a immédiatement réclamé la tenue d'une séance extraordinaire du conseil municipal afin de réactiver les commissions. Le hic, c'est que la majorité a demandé que la séance se déroule le 26 juin, alors que la mairesse a plutôt convoqué la réunion pour le 20 juin. Or, des membres de l'opposition étaient en vacances. Ne pouvant avoir la majorité dans le but d'annuler la décision concernant les commissions, l'opposition a donc boycotté la séance à deux reprises. Après bien des tiraillements, une nouvelle séance a été prévue pour aujourd'hui à 15 h.

Y a-t-il un problème plus large ?

Selon la professeure Danielle Pilette, de l'Université du Québec à Montréal (UQAM), spécialiste des affaires municipales, les commissions locales servent de catalyseur. « Il y a des enjeux importants de rémunération des élus puisque leur présence aux commissions leur donne plus d'allocations. [...] Il y a aussi une question de pouvoir et de représentation », dit-elle. La situation actuelle illustre la difficulté pour la mairesse Parent d'asseoir son autorité. « Mme Parent a tout à perdre, contrairement à l'opposition. L'erreur, c'est de croire que les directeurs de services vont suppléer à une communication politique défaillante. Les fonctionnaires ne peuvent pas remplir ce rôle-là. »

Quelle est l'origine du problème ?

Avant même les élections de novembre dernier, Longueuil vivait de grands déchirements politiques. Le départ annoncé de l'ancienne mairesse Caroline St-Hilaire, qui a désigné Sylvie Parent comme sa dauphine, a provoqué un schisme au sein du parti Action Longueuil. L'adversaire de Mme Parent, Josée Latendresse, ne s'est pas ralliée après la course à la direction du parti, entraînant avec elle la moitié des troupes. Ensemble, ils ont créé Longueuil Citoyen. Cette guerre fratricide s'est poursuivie jusqu'au scrutin. Résultat : Action Longueuil a gagné la mairie et Longueuil Citoyen, la majorité au conseil municipal.

Y a-t-il un impact sur la population ?

À court terme, la crise est susceptible d'alimenter le cynisme de la population, croit Danielle Pilette. D'ailleurs, le taux de participation aux élections municipales de Longueuil est en baisse : il est passé de 38,9 % en 2009 à 34 % en 2013 et à 33,1 % en 2017. À long terme, la population risque de faire les frais de l'incapacité des élus à s'entendre sur de grands dossiers. « Il y aura un impact notamment sur le futur enrichissement immobilier de Longueuil. [...] La division et la faiblesse du conseil municipal seront exploitées par les promoteurs », soutient Mme Pilette.

S'agit-il d'une guerre de personnalités ?

Danielle Pilette dit constater la faiblesse politique des meneurs des parties qui s'affrontent, ainsi que l'absence de la société civile (organismes, acteurs économiques et institutionnels, par exemple) qui pourrait avoir un rôle important pour forcer un règlement. « Sylvie Parent n'est pas une leader naturelle. Elle m'apparaît toujours sur la défensive sans que l'on comprenne pourquoi. [...] Ça pose un problème de positionnement politique », croit la professeure. Quant à l'opposition, si son attitude « n'est pas très chic dans l'intérêt de la Ville », elle exerce son contre-pouvoir, dit-elle.

Quelles sont les armes utilisées dans le conflit ?

Jusqu'à maintenant, l'opposition et l'équipe de la mairesse Parent se bataillent à coups de communiqués de presse, de motions de blâme, d'avis juridiques et de plaintes de toutes sortes (Unité permanente anticorruption et Commission municipale du Québec). « C'est la culture de la Ville de Longueuil qui en est une de conflits. C'est assez conservateur dans plusieurs petits milieux municipaux. On pourrait penser que lorsqu'on est une agglomération de la taille de Longueuil, on se comporte autrement. Eh bien, non ! », lance Mme Pilette. Selon elle, les parties négligent la possibilité d'être accompagnées par des experts.

Comment s'extirper de la crise ?

La sortie de crise dépend largement de la mairesse Sylvie Parent, croit Mme Pilette. Son choix se résume à jouer à fond son rôle défensif de surveillance prévu par la loi, ce qui implique la négociation dossier par dossier avec l'opposition, ou à rassembler tous les élus autour d'une cause commune. « Si elle choisit l'offensive, elle peut profiter des élections québécoises pour demander quelque chose qui puisse rallier les opposants, par exemple la constitution de l'agglomération de Longueuil en région administrative », affirme Mme Pilette. Ce serait une reconnaissance symbolique mais également opérationnelle, car la Montérégie est un territoire très vaste.