Suspendu de ses fonctions de chef de police de Montréal depuis bientôt six mois, Philippe Pichet demande à la Cour du Québec de forcer le gouvernement et la Ville de Montréal à le réintégrer à son poste.

Dans une poursuite déposée au palais de justice de Montréal et que La Presse a obtenue, il affirme que son sort « équivaut à une destitution par congédiement déguisé » et demande au tribunal de remédier à la situation.

Philippe Pichet comptait 24 années d'expérience dans la police lorsqu'il a été nommé directeur du SPVM en août 2015. Son contrat prévoyait un mandat jusqu'en 2020, renouvelable.

« Le processus de sélection ayant conduit à la nomination de M. Pichet à titre de directeur du SPVM a été un processus rigoureux comportant de nombreux examens et tests visant à l'évaluation de ses compétences pour occuper cette importante fonction », soulignent ses avocats, dans leur requête en « appel d'une destitution » datée du 29 mai.

« MALAISE PROFOND »

En 2017, après un reportage de l'émission J.E. qui rapportait des allégations de malversations à la direction des affaires internes du SPVM, le ministre de la Sécurité publique a demandé une enquête administrative sur le fonctionnement de l'organisation.

Me Michel Bouchard, chargé de l'enquête, a produit un rapport dévastateur : comité de direction dysfonctionnel, régime de terreur chez certains cadres et enquêtes internes mal gérées qui se soldaient par l'attribution de passe-droits pour certains et des vies détruites sans motif valable pour d'autres. Des problèmes qui étaient bien antérieurs à l'arrivée de M. Pichet, mais celui-ci n'avait pas réussi à mettre la maison en ordre, affirmait l'expert.

« Le malaise est profond et la confiance du personnel civil et policier à l'égard de la direction [est] à un niveau extrêmement préoccupant. » - Extrait du rapport de Me Michel Bouchard

JAMAIS CONTACTÉ PAR LE MINISTRE

« Au moment de l'annonce du dépôt du rapport par Me Bouchard, M. Pichet a demandé une copie », précise sa requête à la cour. Mais personne n'a voulu lui en donner un exemplaire.

M. Pichet raconte que le 5 décembre dernier, le directeur général de la Ville Alain Marcoux a offert le poste de directeur à la numéro deux du SPVM, Simonetta Barth, en lui annonçant que la suspension du directeur était imminente (Mme Barth a refusé le poste).

Le 6 décembre, le directeur général a rencontré à son tour M. Pichet pour lui dire qu'il serait suspendu et qu'il ne serait « pas souhaitable » qu'il revienne un jour dans son poste, même s'il n'avait aucune faute à lui reprocher personnellement, précise la requête.

M. Pichet affirme avoir écouté le ministre Coiteux annoncer sa suspension à la télévision. Il attend toujours un appel du ministre pour s'expliquer, mais même après lui avoir écrit deux lettres personnellement, il n'a pas été contacté. Il affirme que le ministre ne lui a jamais fait part de « quelque reproche que ce soit » et ne l'a jamais laissé s'expliquer.

« M. Pichet n'a toujours pas été contacté par M. Coiteux ou un représentant du ministère de la Sécurité publique », écrivent ses avocats.

Le policier affirme par ailleurs qu'il avait rencontré le ministre Coiteux dès le 25 mars 2017 pour lui expliquer son plan d'action pour redresser la barre au SPVM. Il préparait un changement de culture qui « allait nécessiter quelques années et occasionnerait des remous ».

« M. Coiteux a, lors de cette rencontre du 25 mars, félicité M. Pichet pour le plan qu'il lui avait présenté. » - Extrait de la requête déposée par Philippe Pichet

Le maire Denis Coderre l'avait aussi publiquement appuyé, rappelle-t-il.

Par la suite, il a constaté qu'il avait du mal à obtenir des réponses de la sous-ministre à la sécurité publique, Liette Larrivée, quant à l'avenir du SPVM. Puis est arrivée la suspension.

LA SEULE ISSUE

Quelques mois après sa suspension, en février 2018, Philippe Pichet dit avoir été convoqué par le directeur général de la Ville, Alain Marcoux. Celui-ci lui aurait dit qu'il était suspendu de son poste de directeur depuis longtemps et qu'il fallait qu'il travaille, car « des journalistes [allaient] poser des questions ».

Il lui a demandé de revenir travailler à titre de superviseur des agents de sécurité municipaux. Il lui aurait aussi indiqué que la « seule issue est la destitution » et qu'il devrait songer à démissionner.

M. Pichet, qui est titulaire d'une maîtrise et d'un DESS en administration publique, a commencé à travailler dans cette fonction beaucoup moins névralgique depuis, mais il a clairement indiqué qu'elle lui était imposée. Il souhaite que la Cour force la main à la Ville et au gouvernement pour lui redonner son siège de directeur.

Depuis décembre, la direction du SPVM est assurée par intérim par le directeur général de la Sûreté du Québec, Martin Prud'homme.

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UN SALAIRE SUPÉRIEUR À CELUI DE SON REMPLAÇANT

Malgré sa suspension, Philippe Pichet conserve le salaire prévu à son contrat, soit 237 000 $ par année. Son remplaçant, Martin Prud'homme, conserve son salaire de directeur général de la Sûreté du Québec, qui est inférieur à celui du chef du SPVM, soit 214 000 $ par année.