« Ça vibre comme s'il y avait un tremblement de terre en permanence. C'est constant. Mes nuits sont hypothéquées. » Danielle Laviolette a toujours toléré le fait de vivre avec le bruit de l'autoroute 25 qui passe près de chez elle. Mais depuis l'ouverture, à la fin de 2017, d'un nouvel accès au port de Montréal pour les camions, la situation est devenue intolérable pour de nombreux résidants de la rue Curatteau, alors que de puissantes vibrations se font ressentir jour et nuit. Le ministère des Transports, qui a documenté le problème avec des sismographes, promet des correctifs, mais les citoyens doutent de l'efficacité des travaux prévus.

PROBLÈME AGGRAVÉ

« J'habite ici depuis 17 ans et, depuis décembre, ça n'a jamais été aussi pire », relate Danielle Laviolette. Elle n'est pas la seule résidante de la rue Curatteau, près du pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine, à avoir remarqué une augmentation notable des vibrations depuis l'ouverture de la voie d'accès au port de Montréal pour les camions. Une trentaine d'autres propriétaires ont participé à une rencontre récemment pour se plaindre du problème. « Ils nous ont dit qu'ils faisaient une dalle en béton d'une bonne épaisseur et qu'on ne sentirait rien. Mais ça n'a pas fonctionné », déplore l'une de ses voisines, Julie Paquet. Les grosses secousses, qui survenaient une fois par mois auparavant, se font désormais sentir plusieurs fois par heure. « On reste à côté de l'autoroute. On s'entend qu'il y a de la poussière et du bruit. Mais les vibrations, c'est très incommodant. Quand on est assis en train de souper ou avec la visite, ça vibre comme s'il y avait un petit tremblement de terre », poursuit Julie Paquet.

VIVRE AU SOUS-SOL

Les vibrations sont devenues à ce point intenses que, pour retrouver le sommeil, plusieurs résidants de la rue Curatteau ont déménagé au cours des derniers mois leur chambre au sous-sol, où les secousses se font moins sentir. « Plus on est en hauteur, plus on sent les vibrations », explique Julie Paquet. L'un de ses voisins, Sylvain Plourde, a lui aussi déménagé sa famille au sous-sol, n'en pouvant plus des vibrations qui les tenaient éveillés la nuit. « Tu es couché dans ton lit et ça bouge. C'est pire le soir, quand c'est plus calme sur l'autoroute. Il y a moins de bruit, mais il y a comme un mouvement d'air et ça te tape dans les oreilles », explique-t-il. Il a bien tenté d'insonoriser ses murs, mais sans succès, les vibrations se faisant toujours sentir. Et mettre des bouchons pour dormir n'est d'aucune efficacité.

Photo Martin Chamberland, La Presse

Sylvain Plourde, résidant de la rue Curatteau, a déménagé sa famille au sous-sol parce qu'ils n'en pouvaient plus des vibrations qui les tenaient éveillés la nuit.

DES SISMOGRAPHES POUR ÉVALUER LA SITUATION

Les résidants de la rue Curatteau ont décidé de prendre les grands moyens pour se faire entendre auprès du ministère des Transports et multiplient les plaintes depuis cet hiver. « C'est simple, chaque fois que je vibre, j'envoie un courriel pour me plaindre. Mais comme il y en a trop, je dois me limiter à 10 ou 20 par jour », dit Andrew Hutchison, l'un des riverains. Sa maison a beau se trouver derrière un mur-écran qui doit en théorie bloquer le bruit de l'autoroute, les vibrations le traversent. Inondé de plaintes, le Ministère a décidé d'installer en mars des sismographes dans trois résidences de la rue Curatteau pour évaluer la situation. Et les résultats, obtenus par La Presse en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, démontrent que les vibrations dépassent de quatre à dix fois les normes.

NIVEAU DE VIBRATIONS AU-DESSUS DES NORMES

Les appareils installés par le Ministère ont en effet enregistré des vibrations allant de 0,44 mm/s à 1,11 mm/s, soit nettement au-dessus du seuil de 0,10 mm/s établi par la Federal Transit Administration. Ce niveau de vibrations a été retenu pour les résidences puisqu'il s'agit du seuil de détection par l'humain. La Ville de Montréal a adopté des normes similaires, comme en font foi les démarches d'un promoteur en 2016 qui souhaitait ériger une tour de condos tout près d'une voie ferrée. La métropole a exigé que le niveau de vibration soit inférieur à 0,14 mm/s à l'intérieur des logements. 

TOUT BOUGE

Pas besoin de chercher longtemps pour constater l'ampleur des vibrations. Il suffit de s'appuyer sur un mur pour ressentir d'intenses secousses. Chez Andrew Hutchison, les feuilles des plantes bougent en permanence au rythme des camions qui roulent à une cinquantaine de mètres de là. Les fenêtres des maisons de la rue vibrent aussi sans cesse. Les ingénieurs mandatés par le ministère des Transports ont d'ailleurs noté dans leur rapport que le passage de camions faisait « vibrer les pièces de verre du lustre » se trouvant dans l'une des maisons. Les résidants rapportent également des dommages. Danielle Laviolette dit avoir vu apparaître une quinzaine de fissures sur ses murs depuis décembre. Même phénomène chez Sylvain Plourde. Le temps qu'il répare les fissures, de nouvelles font leur apparition. « J'ai des fissures actives partout dans la maison. Et ma maison est pieutée ! » Certains cadres de sa maison ont tellement bougé que les portes ne ferment plus.

TRAVAUX CORRECTIFS PRÉVUS

Le Ministère pense avoir trouvé pourquoi les vibrations ont pris tant d'ampleur dans les maisons de la rue Curatteau : « Le mauvais état de la chaussée en est la cause », ont établi les ingénieurs dans leur rapport. Plusieurs fissures majeures sont visibles et de nombreux nids-de-poule ont fait leur apparition dans l'une des voies. Certains trous sont si profonds que l'armature en métal de la dalle de béton servant de fondation à la route sort à la surface. Des conducteurs roulent dans l'accotement pour éviter les trous, mais certains les frappent de plein fouet. Pour corriger la situation, les ingénieurs recommandent « de réparer cette portion de l'autoroute 25, ce qui permettra de ramener l'intensité des vibrations à un niveau plus tolérable ». D'ailleurs, des travaux sont prévus en fin de semaine alors que l'autoroute 25 sera fermée en direction sud afin de refaire la surface de bord en bord. Les voies en direction nord seront quant à elles réparées en juin.

DES MESURES SUFFISANTES ?

Les riverains doutent toutefois que ces travaux corrigent la situation. « Il va peut-être y avoir moins de petites vibrations, mais les grosses vibrations provenant des camions, celles qui font que la maison bouge sur place, ça ne les réglera pas », appréhende Julie Paquet. Sylvain Plourde ne se fait pas non plus d'illusions sur l'efficacité de ces travaux palliatifs. « Tant mieux s'ils refont le pavage. Ça fera ça pour le temps que ça va durer. Mais comme ils font juste du resurfaçage, ça ne durera pas une éternité. Ça va recommencer à défoncer », appréhende-t-il. L'homme réclame que la butte de terre devant sa maison faisant office de mur-écran soit rehaussée. Danielle Laviolette veut aller plus loin et carrément interdire aux camions de circuler sur la nouvelle voie d'accès.

« ON N'A PLUS DE QUALITÉ DE VIE »

Le Ministère reconnaît que ces travaux sont temporaires. Le problème tient beaucoup au fait que la fondation de l'autoroute 25 est arrivée en fin de vie et doit être complètement reconstruite. Ces travaux majeurs doivent toutefois attendre la fin du chantier du pont Champlain. Sylvain Plourde dit comprendre qu'il n'existe pas de solution miracle, mais déplore néanmoins le calvaire que ses voisins et lui vivent. « À un moment, ça suffit. On n'a plus de qualité de vie. Je paye pour une maison, mais je suis obligé de vivre au sous-sol. On ne profite pas de notre maison, on survit en attendant. »

- Avec William Leclerc, La Presse

Photo Martin Chamberland, La Presse

Les résidants Danielle Violette, Nancy Hutchison et Andrew Hutchison.