Estimant que sa recommandation aurait pu sauver plus de 100 vies à Montréal dans la dernière décennie, un coroner recommande à la Ville de rendre les propriétaires responsables des avertisseurs de fumée dans leurs logements.

Du même souffle, il propose de mettre fin à la dangereuse valse du changement annuel de pile en laissant un choix aux locateurs : un avertisseur branché à l'électricité ou un avertisseur à pile intégrée, qu'ils devront remplacer tous les 10 ans.

« Je vois régulièrement des incendies où l'appareil n'est plus fonctionnel, où il a été enlevé, où il n'a plus de pile ou Dieu sait quoi. C'est dans ces cas-là qu'il y a des incendies mortels », a déploré en entrevue Jacques Ramsay. 

« Une fameuse maxime dit que les incendies frappent autant les riches que les pauvres, mais la mort dans les incendies frappe beaucoup plus les pauvres que les riches. »

En plus des amendes de 250 $ déjà prévues au règlement, les changements proposés par le coroner Jacques Ramsay ouvriraient la porte à des accusations criminelles contre les propriétaires négligents, si le pire se produisait.

Le cabinet de Valérie Plante promet de se pencher sérieusement sur ces suggestions.

Le Dr Ramsay a fait enquête sur la mort d'une fillette de 4 ans, Nikeydah Forbes, en 2013 à Montréal-Nord, après qu'elle s'est cachée sous son lit alors que des flammes ravageaient l'appartement familial.

Il s'est aussi penché sur les incendies qui ont tué Pierre Cyr, 62 ans, dans son appartement de Rivière- des-Prairies la même année, ainsi que Sylvie Deschênes dans Hochelaga-Maisonneuve l'année précédente. Les trois rapports viennent d'être rendus publics.

« ÉVITABLES »

Dans tous les cas, une même conclusion : l'avertisseur de fumée était hors service, soit parce qu'il avait été désactivé, soit parce que la pile n'avait pas été changée. Des morts totalement évitables. Les flammes « se développent souvent lentement » et les victimes ont normalement amplement le temps d'évacuer les lieux quand l'avertisseur de fumée fonctionne.

Dans tous les cas, une même solution : que les conseillers municipaux de Montréal votent un changement au règlement municipal pour mettre le fardeau du fonctionnement de l'avertisseur de fumée sur le dos des propriétaires.

« Ça simplifie la réglementation puisqu'on a moins d'acteurs. Les locataires qui déménagent souvent ont souvent plein de choses à penser. » 

En outre, il voudrait que les avertisseurs installés soient fixés plus solidement et qu'ils soient munis d'un silencieux temporaire, afin que la solution à des rôties brûlées ne consiste plus à mettre l'appareil hors service.

Au cabinet de Valérie Plante, on promet de considérer la question de façon studieuse.

« Nous allons analyser attentivement les rapports du coroner et en discuter avec le Service de sécurité incendie de Montréal, les associations de propriétaires et les associations de locataires. Le format de ces discussions reste à déterminer », a affirmé par écrit Marc-André Viau, directeur des communications de la mairesse.

« Les propositions qui visent à assurer la sécurité des citoyens doivent être étudiées sérieusement, puisque notre principale responsabilité est d'assurer la sécurité des citoyens », a-t-il continué.

RECOMMANDATION RÉPÉTÉE

Jacques Ramsay avait déjà fait une recommandation semblable à la Ville de Montréal il y a 10 ans. La priorité avait toutefois été donnée à l'uniformisation des réglementations municipales des villes fusionnées.

Une refonte du règlement sur les incendies en 2012 « n'est qu'une réplique » du règlement précédent, critique le Dr Ramsay dans ses rapports. « Notre recommandation est restée lettre morte. »

Ce délai a été littéralement mortel, selon le coroner. « Sur 10 années, c'est plus de 100 vies qui auraient pu être sauvées uniquement à Montréal. C'est énorme », écrit-il dans chacun des trois rapports qui viennent d'être publiés. 

« Il est maintenant temps pour la Ville de faire preuve de leadership et de se montrer proactive pour améliorer son bilan de décès dus aux incendies. »

Montréal ne peut plus « jouer à l'autruche » et « s'en laver les mains », a ajouté le Dr Ramsay. « De nombreux États américains (Oregon, Maryland, Californie, Michigan) et des villes canadiennes, tel Winnipeg, ont changé leur règlement pour introduire de telles dispositions. »

Les chiffres publiés par la Ville de Montréal montrent qu'une dizaine de personnes meurent chaque année sur son territoire dans un incendie de bâtiment résidentiel. La courbe des dernières années semble décroissante, mais Montréal s'est maintenu au-dessus de la moyenne des grandes villes canadiennes de 2012 à 2015, avant de passer en dessous en 2016.

Nombre de morts liées à des incendies résidentiels à Montréal

2012 : 12

2013 : 11

2014 : 9

2015 : 7

2016 : 7