Depuis 35 ans, des animateurs chargés de livres partent à la rencontre des enfants montréalais dans les parcs, les HLM et les écoles pour amener la bibliothèque jusqu'à eux. Or, la Ville de Montréal vient de couper les vivres du programme Livres dans la rue, qui ne pourra poursuivre ses activités au printemps.

« Pouvez-vous imaginer ce que c'est de se faire bousculer par des enfants qui savent qu'on apporte des livres ? Pas des cadeaux de Noël, pas des bonbons :  des livres. » Quelques jours après avoir appris que le programme où elle oeuvre comme animatrice depuis six ans ne reviendrait pas, Dominique Martel est encore secouée.

Fondé en 1982, le programme Livres dans la rue a pour objectif d'initier les enfants de milieux défavorisés à la lecture. Il a pris racine dans le quartier Centre-Sud avant d'étendre ses tentacules dans bien d'autres quartiers. Géré par le Réseau des bibliothèques de Montréal, il a rejoint plus de 300 000 enfants au fil des ans.

« Les animateurs arrivent avec leurs couvertes et leurs livres, dans un parc ou une cour de HLM. On les invite à venir prendre un temps avec nous pour regarder leurs livres. Ils peuvent les regarder seuls ou entre eux et ne pas s'occuper de nous, ou se faire faire la lecture », explique Christiane Charette, qui a été la figure de proue du programme dès les débuts.

ONDE DE CHOC

À la retraite depuis deux ans, elle a appris la fin du programme en même temps que les animateurs et a rapidement pris la plume pour rédiger sur Facebook une lettre adressée à la mairesse de Montréal, Valérie Plante.

« J'étais sidérée, en état de choc. J'ai fait cette lettre ouverte en espérant que Mme Plante la lise », dit-elle. Au fil des années, Livres dans la rue a accumulé une collection de plus de 3000 ouvrages, précise Christiane Charette.

Comme une dizaine d'autres animateurs, Dominique Martel est secouée d'avoir perdu une partie de son gagne-pain, mais elle estime que ce sont les enfants qui seront le plus pénalisés.

« Dans les cours des HLM l'été, c'est incroyable comme on est attendus. Les enfants ne vont pas au camp de jour, les parents n'ont pas d'argent pour ça. On vient les divertir », dit Mme Martel.

Parfois, les enfants choisissent de se servir des livres pour construire des tours, ou « jouer au magasin ».

Dominique Martel se souvient d'un passage dans une école, quand une éducatrice algérienne a fondu en larmes après avoir découvert que l'animatrice de Livres dans la rue avait apporté un livre qu'elle lisait elle-même dans son enfance.

« Après notre passage, les enfants lui ont redemandé de le lire », dit l'animatrice avec fierté. Elle rappelle que bien des écoles montréalaises n'ont pas de bibliothécaire ni même de bibliothèque.

Jusqu'à tout récemment, le programme était financé par une subvention de 20 000 $ du Conseil des arts du Canada obtenue par l'organisme Les Amis des bibliothèques publiques de Montréal. Quand cette subvention a été supprimée, Livres dans la rue s'est vu financé principalement par la Ville de Montréal. Il a été décidé cette année que le programme serait révisé, explique-t-on à la Ville.

« Nous tenons à rassurer la population, les activités hors les murs, aspect innovant et populaire du programme, continueront de se déployer dans les différentes bibliothèques des arrondissements. [...] La Direction des bibliothèques travaille aussi présentement à repenser et à adapter le programme en fonction de l'évolution des besoins et activités du réseau, en offrant notamment un volet de francisation aux jeunes nouveaux arrivants », a expliqué par courriel Christine Gosselin, responsable de la culture, du patrimoine et du design au comité exécutif de la Ville de Montréal.

COMBLER UN MANQUE

L'annonce de la fin de ce programme survient la semaine même où la Ville de Montréal a annoncé une bonification de son budget remis aux arrondissements dans le cadre de sa Politique de l'enfant.

Une enveloppe de 2,1 millions doit servir cette année à rejoindre les enfants dans leur quartier, notamment ceux issus de l'immigration ou venant de familles défavorisées, a-t-on expliqué dans le cadre d'une conférence de presse tenue mercredi dans une bibliothèque de Rosemont.

« Nos enfants sont l'avenir de notre ville dans chacun de nos quartiers. Nous devons nous assurer qu'ils s'épanouissent et atteignent leur plein potentiel », a alors déclaré alors la mairesse Valérie Plante.

C'est en plein la mission de Livres dans la rue, dit Christiane Charette.

« On sait que les enfants qui n'ont pas trop de problèmes de littératie ont des livres à la maison, qu'on leur a fait la lecture quand ils étaient jeunes, dit-elle. On va dans des milieux où il y a beaucoup d'immigrants, où les parents ne parlent même pas la langue. On essaie de combler ce manque, que ce soit présent pour eux. »