La nouvelle du décès du père Emmett Johns a ébranlé la communauté, pour ne pas dire la famille, de Dans la rue, qu'il a fondée en 1988. Des intervenants de l'organisme, plus déterminés que jamais à assurer la pérennité de ce qu'il a entrepris, ont témoigné hier de l'impact de son oeuvre et de son départ lors de la distribution des soupers à la roulotte.

Le père Pops s'est éteint dans la nuit de samedi à dimanche. Hier, la roulotte mobile qu'il a initiée aux rues de Montréal il y a 30 ans était sur la route, les bénévoles de Dans la rue étant fidèles à leur poste. Hier soir, trois femmes derrière aux machines : Elizabeth Pertuiset, bénévole depuis 10 ans, Shauna Joyce, bénévole depuis 8 ans, et la vétérane Gaby Martin, qui fait partie de l'équipe depuis une douzaine d'années.

Joyce a connu le père Pops par son métier de travailleuse sociale dans une école, où il passait souvent pour rencontrer les jeunes. « Il parlait de l'organisme et quand j'ai cherché à faire du bénévolat, j'ai tout de suite voulu venir ici », dit la femme. Elle a trouvé à Dans la rue un endroit où les jeunes sont toujours les bienvenus, où elle sent qu'elle peut les aider. « Pops avait une philosophie qui dit que tout le monde a son histoire, et on ne comprend pas toujours cette histoire, mais nous devons être là pour écouter. »

Les trois femmes décrivent la tristesse qui plane à Dans la rue depuis l'annonce de la mort du père Emmett Johns. « Les jeunes aussi sentent un vide, un sentiment de perte, raconte Elizabeth. Même ceux qui ne l'ont pas connu personnellement, parce qu'ils sont trop jeunes, se rendent compte que ce personnage important de la vie de la rue montréalaise n'est plus là. » 

Le personnel aussi, dont plusieurs connaissaient le père Pops personnellement, est affecté, mais « ce n'est pas fini parce qu'il est mort, ce qu'il a créé va continuer », assure Gaby. « Il n'est plus là, mais sa présence se fait sentir, ajoute Elizabeth. Il est toujours là. »

LA MÉTHODE DE LA ROULOTTE

À 21 h, en face du métro Frontenac, l'équipe se préparait à accueillir les jeunes. La roulotte parcourt quatre endroits autour du centre-ville, cinq soirs par semaine, jusqu'à un peu plus tard que minuit. Dès leur arrivée sur les lieux, un groupe de jeunes qui attendaient non loin montent à bord. On leur offre alors un hot-dog, du café, mais surtout un « endroit où personne ne les juge », comme le père Pops l'a toujours souhaité, raconte Elizabeth. 

« Ils viennent ici pour être écoutés, être vus, que quelqu'un les voie vraiment », dit-elle.

Le Winnebago a eu droit à quelques cures de rajeunissement depuis sa version originale de 1988 - d'ailleurs, un nouvel autobus devrait bientôt remplacer l'actuel, nous révèlent les trois bénévoles. Il a évolué, à l'image de l'organisme du père Emmett Johns, qui s'est doté de plusieurs branches - le Bunker, le Centre de jour Chez Pops, un service d'aide aux parents marginalisés - afin de toujours mieux venir en aide aux jeunes sans-abri. Mais dans l'essentiel, les valeurs qui animent cette initiative, d'abord amorcée par un seul homme et maintenant portée par un groupe de 200 personnes, sont inchangées.

« La roulotte, c'est une méthode », explique Shauna Joyce. Les bénévoles tiennent à avoir un impact sur la vie des gens qu'elles assistent, notamment en leur parlant des différentes initiatives de Dans la rue dont ils pourraient bénéficier. « La van permet de rejoindre les jeunes. Il y a le Bunker, il y a aussi les 17 appartements pour loger certains jeunes et beaucoup de ressources vers lesquelles ils peuvent se tourner, pour aller à l'école par exemple », explique Shauna.

UNE FAMILLE

« Je vois ces jeunes, ce sont des beaux enfants, mais les gens oublient de les regarder et oublient à quel point ils sont importants », déclare Elizabeth. Le père Pops, lui, leur a fait une place. La femme ajoute que tout débute par une histoire de respect à Dans la rue. « C'est quelque chose qu'on sent dans la van : le grand respect que Pops a toujours montré envers les jeunes et qu'eux montrent envers nous. » Si quelqu'un devient plus agressif, à l'occasion, ce sont souvent les autres jeunes qui se porteront à la défense des bénévoles, illustre-t-elle.

« Nous sommes comme une famille, alors lorsqu'on approche les jeunes, ils sentent ce sentiment d'affection », explique Gaby. Les trois femmes témoignent d'un impact tangible, dont elles sont témoins tous les jours sur les jeunes. Il y a ceux qui s'en sortent, deviennent des adultes et parfois restent dans l'entourage de Dans la rue, mais aussi ceux qui ne font que passer. « D'autres fois, on croise un jeune juste une fois, on ne le revoit plus et on ne sait pas ce qui lui arrive après, mais c'est bien de savoir qu'on a pu être là cette fois-là, au bon moment », ajoute Shauna.

« Dans la rue, c'est quelque chose d'organique, qui est arrivé là où les gens en avaient besoin, ça vient du peuple et c'est ce qui fait que l'idée de Pops fonctionne », dit Elizabeth. Le fondateur s'était renseigné auprès des jeunes pour savoir où la demande se trouvait, afin de vraiment atteindre les gens qu'il cherchait à aider, il écoutait les opinions, tout en menant son organisation avec détermination. « C'est sa vision qui a tout changé, et il va certainement y avoir une continuité », assure Gaby.

« Il n'acceptait pas les choses comme elles étaient »

Au lendemain de l'annonce de la mort d'Emmett Johns, le président et directeur général de Mission Bon Accueil, Samuel Watts, a rendu un hommage senti à l'héritage du père Pops ainsi qu'à son oeuvre au sein de Dans la rue. Établis à quelques pâtés de maisons l'un de l'autre, les deux organismes venant en aide aux jeunes les plus démunis collaborent ensemble depuis des années. « Pendant longtemps, les organismes restaient dans leur bâtisse et attendaient. Lui est plutôt embarqué dans sa roulotte, a dit M. Watts en entrevue hier. Nous sommes tous plus proactifs grâce à lui. Même si on a encore de nombreux défis, nous sommes aujourd'hui l'une des villes les plus avancées en Amérique du Nord. » M. Watts a également salué à quel point le père Pops, au moment de sa retraite, avait laissé derrière lui un organisme en bonne santé. Ce qui n'était pas étranger à sa personnalité. « C'était un visionnaire, un fonceur, capable de travailler avec des gens qui ne pensaient pas comme lui. C'était quelqu'un qui n'acceptait pas les choses comme elles étaient. Chaque fois qu'il rencontrait un problème ou un défi, il était convaincu qu'il existait une solution. »

- Simon-Olivier Lorange, La Presse