Martin Prud'homme, administrateur provisoire et chef par intérim du Service de police de la Ville de Montréal, n'a pas l'intention de demander la tenue d'une enquête administrative de nature disciplinaire sur le président de la Fraternité des policiers et policières, Yves Francoeur, comme le demande l'ancien ministre Raymond Bachand.

En avril dernier, M. Francoeur avait lancé une véritable bombe à l'émission de Paul Arcand au 98,5 FM en affirmant qu'en 2012, un membre actuel et un ancien membre du caucus libéral au Québec étaient ressortis dans une enquête d'envergure avec écoute électronique et filature, qu'ils étaient soupçonnés de fraude et de trafic d'influence et que le tout avait été bloqué en haut lieu.

Cet automne, M. Francoeur a rencontré les enquêteurs de l'équipe mixte chargée de faire la lumière sur les allégations qui touchent le SPVM et rempli une déposition de huit pages. Mais après avoir enquêté et rencontré 60 témoins, les enquêteurs ont conclu mardi que les propos du chef syndical étaient non fondés.

Depuis, des voix s'élèvent pour réclamer minimalement des excuses du chef syndical, sa démission ou la tenue d'une enquête disciplinaire.

«Non», dit le nouveau chef intérimaire du SPVM, Martin Prud'homme, au sujet d'une enquête disciplinaire. «Comme chef de police et représentant du SPVM, je ne peux pas être contre les gens qui dénoncent. Ce serait d'aller contre mon discours, que ce soit lui ou un autre, que d'empêcher des gens de dénoncer des situations. Cela fait partie de notre travail de policier. Quotidiennement, nous prenons des informations pour lesquelles on ouvre des dossiers», a décrit M. Prud'homme, mercredi, en entrevue avec La Presse, dans le cadre d'une tournée des médias écrits pour sa première sortie publique depuis son arrivée à la tête du SPVM, le 6 décembre dernier.

Martin Prud'homme croit plutôt que le problème, c'est le contrôle de l'information. La déposition écrite de M. Francoeur s'est retrouvée dans les médias, tout comme les noms du ministre Jean-Marc Fournier, de son ancien collègue, Raymond Bachand, et de l'actuel chef de la police de la Ville de Québec, Robert Pigeon.

«Souvent, c'est lorsqu'on touche à des personnalités publiques ou des gens qui ont un statut particulier qu'on se retrouve dans une situation où l'information est rendue publique», a dit M. Prud'homme.

«Ça vient compliquer notre travail. On n'a même pas commencé notre enquête que les témoins peuvent être contaminés avant même que l'on puisse les rencontrer.»

«On n'a pas l'intention de commencer à enquêter des journalistes ou la personne qui a fait la fuite, mais j'apprécierais que les médias ne publient pas ce genre d'information, ça nous rend la tâche vraiment difficile. Malheureusement, j'ai l'impression qu'on va le revivre», ajoute le chef intérimaire du SPVM.

D'autres remous à Québec

L'affaire a continué de susciter des remous, alors que M. Francoeur a de nouveau été visé par les critiques du gouvernement Couillard.

Le ministre Pierre Moreau juge la crédibilité du président de la Fraternité des policiers de Montréal «grandement entachée». Il croit qu'il s'expose à des poursuites.

«Je pense que sa responsabilité civile est engagée», a déclaré M. Moreau à son arrivée à une réunion du Conseil des ministres, mercredi.

Le ministre réclame au «minimum» des excuses de la part de M. Francoeur.

«Les policiers connaissent très bien le fait que nous vivons dans une situation de droit et ils ne peuvent pas avoir un comportement qui est aussi, je dirais, répréhensible.»

Son collègue Robert Poëti, un ancien policier, a également critiqué la conduite du leader syndical. À l'évidence, a-t-il constaté, les propos qu'il a tenus au printemps «étaient faux».

«Compte tenu de l'enquête, à ce stade-ci, je pense qu'il devrait une fois pour toutes dire exactement ce qui en est et fermer le dossier, a-t-il indiqué. C'est juste malheureux pour les gens qui sont nommés.»

«J'espère qu'on ne le reverra pas dans l'espace public»

De son côté, la mairesse de Montréal Valérie Plante a dit laisser au SPVM le soin de trancher le sort d'Yves Francoeur. Le dossier a provoqué un quiproquo avec son homologue de Québec qui a réclamé la démission du chef syndical.

Le maire Régis Labeaume a réclamé mercredi la démission de M. Francoeur qui, dans sa déposition écrite, avait remis en question l'intégrité du chef de police de Québec, Robert Pigeon.

«J'espère que M. Yves Francoeur va démissionner de son poste. On a visiblement affaire à un menteur qui a remis en question la réputation du chef de police de la Ville de Québec. C'est épouvantable, et la preuve a été faite qu'il a menti. J'espère vraiment qu'on ne le reverra pas dans l'espace public. Ce gars-là ne mérite pas beaucoup d'estime de la population du Québec», a-t-il soutenu.

Valérie Plante a d'abord semblé critiquer la sortie de Régis Labeaume, mais elle est revenue sur ses propos en disant s'être mal exprimée lors d'une réponse en anglais. Elle a assuré comprendre que le maire de Québec ait défendu son chef de police.

- Avec Martin Croteau, La Presse, et Jean-François Néron, Le Soleil

LA PRESSE

Le maire de Québec, Régis Labeaume (à droite), a réclamé la démission du président de la Fraternité des policiers de Montréal, Yves Francoeur, mercredi.

Qu'est-ce qu'un lanceur d'alerte ?

Yves Francoeur dit avoir agi en « lanceur d'alerte » en soutenant au micro de Paul Arcand qu'un dossier d'enquête touchant deux élus libéraux avait été fermé prématurément à la suite de pressions politiques. Mais qu'est-ce qu'un lanceur d'alerte, et quelles précautions doit-il prendre pour bénéficier d'une protection légale ?

Tout en précisant ne pas se prononcer d'aucune façon ici sur le cas particulier d'Yves Francoeur, Me Marc-Alexandre Hudon, avocat en matière d'intégrité chez McCarthy Tétrault, explique que deux lois protègent le lanceur d'alerte : celle sur la lutte contre la corruption et celle « facilitant la divulgation d'actes répréhensibles à l'égard des organismes publics ».

Dans un cas comme dans l'autre, ces lois « sont assez larges, et elles visent à encourager des gens qui ont des choses à dénoncer de bonne foi à le faire sans crainte de représailles », indique Me Hudon.

Comment faut-il dénoncer un acte répréhensible impliquant un organisme public ? Quand il s'agit de corruption en tant que telle, il faut appeler l'Unité permanente anticorruption (UPAC). Quand il s'agit de gaspillage d'argent dans un organisme public ou de contravention à une loi, par exemple, il faut contacter le Protecteur du citoyen ou, s'il y a urgence, appeler l'UPAC ou un corps policier.

Et si on ne le fait pas ? Si on lance plutôt la dénonciation dans un média ou un réseau social ? Que dit la loi ?

Dans la loi en tant que telle, des pénalités ne sont pas prévues si on ne prend pas la voie officielle, « mais il y a risque de diffamation, avec ce que cela suppose en risque de poursuite civile », fait observer Me Hudon.

La bonne foi est la règle de base, mais ce qui peut être jugé suffisant pour la démontrer n'est pas clair.

« On est ici dans un champ de droit très nouveau, sans jurisprudence bien établie », dit Me Marc-Alexandre Hudon.

Aux États-Unis, le lanceur d'alerte est protégé par des lois moins récentes qu'ici, et il peut même recevoir une rémunération (de plusieurs millions, dans certains cas) en vertu de programmes de récompenses très officiels (notamment celui de l'IRS, l'agence américaine qui collecte taxes et impôts).

LE RÔLE DU PROTECTEUR DU CITOYEN

Depuis le 1er mai, date à laquelle le Protecteur du citoyen a reçu le mandat d'entendre les dénonciations de citoyens qui sont témoins d'actes répréhensibles impliquant un organisme public, Me Marie Rinfret, protectrice du citoyen, explique que des dossiers ont bel et bien été ouverts grâce à des appels de citoyens.

« Quand on lance une enquête, jamais l'identité du divulgateur n'est portée à l'attention de qui que ce soit », dit Me Rinfret.

Le divulgateur peut d'ailleurs faire sa dénonciation de façon tout à fait anonyme.

Me Rinfret tient à préciser que ce n'est pas seulement le personnel d'organismes publics qui peut dénoncer des actes répréhensibles, mais bien tout citoyen - un fournisseur, par exemple - qui serait témoin d'actes répréhensibles.

L'objectif de la loi promulguée dans la foulée de la commission Charbonneau « est de rétablir la confiance du public en l'administration publique », rappelle Me Rinfret.

« Je suis nommée par l'Assemblée nationale et le Protecteur du citoyen est indépendant et impartial », conclut-elle.

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QUELS ACTES RÉPRÉHENSIBLES PEUVENT ÊTRE DÉNONCÉS AU PROTECTEUR DU CITOYEN ?

• Une contravention à une loi ou à un règlement applicable au Québec

• Un manquement grave aux normes d'éthique et de déontologie

• Un usage abusif des fonds ou des biens d'un organisme public, y compris de ceux qu'il gère ou détient pour autrui

• Un cas grave de mauvaise gestion au sein d'un organisme public, y compris un abus d'autorité

• Un acte ou une omission qui porte ou risque de porter gravement atteinte à la santé ou à la sécurité d'une personne ou à l'environnement

• Le fait d'ordonner ou de conseiller à une personne de commettre un acte répréhensible

- Par Louise Leduc, La Presse