Il n'y a pas que le projet de Réseau électrique métropolitain (REM) qui fait craindre des expropriations. Une vingtaine de propriétaires de l'est de Montréal vivent dans l'incertitude depuis 2014 à cause de réserves foncières prises en vue d'un éventuel prolongement de la ligne bleue du métro, un projet qui tarde à se matérialiser.

«Ça va faire bientôt quatre ans qu'on se demande si, oui ou non, nous serons expropriés, et on n'a toujours pas de réponse», lance le dentiste Antonio Mirarchi, copropriétaire du Centre dentaire St-Léonard, située à l'angle des rues Jean-Talon et Lacordaire.

Le ministère des Transports, de la Mobilité durable et de l'Électrification des Transports (MTMDET) du Québec, mandaté par l'Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM), a pris au début de 2014 des réserves foncières sur une vingtaine de terrains et immeubles le long de la rue Jean-Talon Est. L'extension de la ligne bleue, d'une distance de 5,8 km, prévoit l'ajout de cinq stations jusqu'à Anjou.

Or, rien n'a bougé depuis la réception des premiers avis de réserve foncière en 2014, déplore le Dr Mirarchi. Les propriétaires des bâtiments réquisitionnés par le MTMDET ne peuvent faire aucune rénovation, sauf les réparations urgentes.

«On pensait faire une expansion de la clinique, des travaux de plus de 100 000 $, mais si la clinique vaut davantage que ce qu'ils avaient décrété en 2014, ils ne vont pas nous rembourser», dénonce le dentiste, néanmoins favorable au prolongement du métro.

Bruno Vizzaccaro, propriétaire d'un immeuble près de l'intersection Jean-Talon et Langelier, critique l'absence totale de communications depuis la réception de son premier avis en 2014. «Personne ne nous a rencontrés, ils ont envoyé une lettre enregistrée, et c'est tout. La façon dont ils agissent, c'est un peu direct et très imposant envers nous.»

Des questions sans réponses

Francesco Cavaleri, propriétaire de l'immeuble où loge le Centre dentaire St-Léonard, ne comprend pas, de son côté, pourquoi le MTMDET a jeté son dévolu sur sa bâtisse, qui héberge aussi une clinique médicale et une grosse pharmacie. Il suggère plutôt aux autorités d'utiliser une fraction du vaste parc Ladauversière, situé de l'autre côté de la rue, pour construire l'édicule du métro.

L'homme d'affaires a interpellé des élus de tous les ordres de gouvernement depuis 2014 pour tenter d'obtenir des réponses, sans succès. 

«Je vis avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Il y a une absence de réponses, ça fait presque quatre ans», regrette M. Cavaleri.

Les réponses dans le dossier du prolongement de la ligne bleue sont en effet difficiles à obtenir. Le projet, en discussion depuis une trentaine d'années, est hautement politique, et les intervenants sont très nombreux.

Après plusieurs rebondissements depuis 2009, le dossier semble être passé en vitesse supérieure le printemps dernier. Lors du dernier budget provincial, le ministre des Finances a annoncé que les sommes requises (non chiffrées) «seront réservées au Plan québécois des infrastructures 2017-2027». Québec mise aussi sur une participation d'Ottawa, qui se montre ouvert à financer une partie du projet.

Priorité au REM?

Le cabinet du ministre des Transports, Laurent Lessard, a toutefois été incapable de fournir une idée de l'échéancier à La Presse. «Le projet est encore en analyse et sera déposé au Conseil des ministres pour validation et approbation, a indiqué une porte-parole du ministre. C'est le Conseil des ministres qui prendra les décisions sur ce dossier au moment opportun.»

Luis Miranda, maire d'Anjou, se montre plutôt pessimiste pour la suite des choses. «Dans mon livre à moi, à ce que je comprends du dossier, il n'est pas mort, mais on le tient en vie et c'est tout», a-t-il déploré en entrevue téléphonique.

L'élu se dit persuadé que le lancement du REM au printemps 2016, un projet de 6 milliards piloté par la Caisse de dépôt et placement avec l'appui de Québec et d'Ottawa, a repoussé l'échéancier de la ligne bleue. «C'est clair que depuis que [Denis] Coderre appuie le REM, le dossier est tombé en bas de la pile. Il n'y a plus rien.»

Aref Salem, membre du comité exécutif et responsable du transport dans l'équipe de Denis Coderre, réfute cette vision des faits. Il soutient que le prolongement de la ligne bleue figure toujours parmi les deux priorités de l'agglomération établies en 2015, aux côtés du REM. La Ville a collaboré avec l'ARTM pour monter un «dossier d'opportunité», mais la décision finale revient maintenant au MTMDET, précise-t-il. «La balle n'est pas dans le camp de la Ville actuellement.» 

Même s'il n'a pas d'idée de l'échéancier prévu par le MTMDET pour donner son feu vert au lancement des travaux, M. Salem se dit rassuré de voir que le prolongement du métro a été inscrit au Plan québécois des infrastructures. «C'est la première fois qu'il a y un geste concret, comme quoi ils font de ce prolongement une priorité.»

Des avis de réserve foncière bientôt expirés

Chose certaine, le temps commence à presser dans ce dossier, en raison des avis de réserve foncière envoyés en 2014. Ceux-ci ont été renouvelés pour deux ans au début de 2016, mais un deuxième renouvellement n'est pas autorisé par la loi. Des annonces devront être faites au cours des prochains mois, sans quoi tout le processus pourrait avoir été fait en vain.

Le cabinet du ministre Lessard a été incapable de dire ce qui se produira si les réserves foncières arrivent à échéance avant l'annonce d'un projet concret. «Nous n'avons pas de réponse tant que le Conseil des ministres n'aura fait le point sur le sujet.»

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Le Dr Antonio Mirarchi.