Plusieurs dizaines de membres de la communauté chinoise ont réussi hier soir à retarder la vente d'un immeuble du quartier chinois qui devait être officialisée au conseil d'arrondissement de Ville-Marie, dirigé par le maire Denis Coderre.

Depuis près d'un an, l'école de musique Musitechnic, organisme sans but lucratif, tente de mettre la main sur le bâtiment de la rue Clark qui hébergeait auparavant le Centre communautaire et culturel chinois. Mais les écueils se sont multipliés.

Hier, un « usage conditionnel » devant mener à l'approbation finale de la vente devait être adopté par le conseil d'arrondissement. L'importante mobilisation de la communauté chinoise, qui emplissait la presque totalité des sièges du local où se déroule le conseil, a changé la donne.

Après une période de questions houleuse, la proposition à l'ordre du jour a été retirée et le maire Denis Coderre s'est engagé à faire une ultime rencontre avec les membres de la communauté avant d'aller de l'avant.

Des citoyens venaient de se succéder au micro pendant près d'une heure pour faire entendre leur mécontentement.

« Ils ne pensaient pas que la communauté ferait une manifestation comme on a fait ; les Chinois sont censés être doux et ne pas faire de politique », a dit Pauline Wong, présidente du Service à la famille chinoise de Montréal.

Pendant la période de questions, une citoyenne a rappelé au maire que les élections municipales approchaient. « Le politicien pourrait prendre la décision facile : on retarde ça, on retarde ça jusqu'à ce qu'il y ait des élections. Je ne suis pas comme ça », a dit Denis Coderre.

L'école Musitechnic accueille actuellement ses 200 élèves dans des espaces loués à la Place Dupuis, mais son bail arrive à échéance l'an prochain. Devant le nombre grandissant d'élèves qui fréquentent l'établissement, il a été décidé d'acheter des locaux.

«Il y a un contexte culturel»

L'édifice du 1088, rue Clark était justement en vente. « C'est un bâtiment standard qui s'est retrouvé sur le marché. C'est assez simple, on a été en contact avec l'agent immobilier, on a fait une offre. Mais depuis un an, les choses sont très compliquées. Il y a un contexte culturel », dit Pierre-Marie Denoncin, directeur général de Musitechnic. Le bâtiment, rappelle-t-il, est privé. 

« On n'est pas des méchants qui veulent s'installer dans le quartier, on n'essaie pas d'acheter une bibliothèque. Si c'était si important pour eux, ça ferait longtemps qu'ils l'auraient acheté. »

M. Denoncin est par ailleurs allé chercher l'aide financière d'un membre de la communauté chinoise pour son projet.

Hier, le maire a d'ailleurs calmé le jeu à quelques reprises en rappelant qu'il ne s'agissait pas d'une histoire qui implique « une communauté contre une autre ». « Ce n'est pas les Chinois contre les francophones », a-t-il dit.

Construit en 1935, le bâtiment a eu plusieurs usages au fil des décennies, avant d'être rénové en 1995 au coût de 7,2 millions de dollars, dont plus de 6 millions provenant de fonds publics. Or, le Centre communautaire et culturel chinois est fermé depuis trois ans et l'immeuble a été saisi parce que l'organisme chargé de l'administrer avait fait faillite.

«Ça nous appartient»

Le Service à la famille chinoise de Montréal dit avoir tenté d'acheter le bâtiment mis sur le marché à 3,3 millions, mais affirme qu'il lui manquait quelques centaines de milliers de dollars.

La présidente de l'organisme, Pauline Wong, estime qu'elle est victime des erreurs que d'autres ont commises dans le passé et soutient que la question a resurgi lorsqu'elle a demandé de l'aide financière à Montréal pour acquérir l'édifice. « Est-ce qu'on souffre à cause de la mauvaise gestion d'une autre association ? », demande-t-elle.

Hier, Denis Coderre a rappelé que l'école Musitechnic s'était engagée à réserver 40 % du bâtiment à des organismes communautaires. « Soyons honnêtes : il y a eu des propositions d'autres organismes chinois et ça n'a pas marché », a dit le maire.

Pour la présidente du Service à la famille chinoise de Montréal, il est clair que ce n'est pas suffisant pour héberger les organismes du quartier et que c'est la communauté chinoise qui pâtira si l'édifice lui échappe. Son organisme offre notamment des cours de francisation aux nouveaux arrivants, des services aux aînés de la communauté, des services d'aide sociale. « Ce n'est pas parce qu'on ne veut pas voir d'autres personnes dans le quartier, mais on dit : ça nous appartient, donnez-nous la chance de rebâtir », dit Pauline Wong.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Pauline Wong, présidente du Service à la famille chinoise de Montréal