L'arrivée surprise d'un « BIXI chinois » dans les rues de San Francisco au début de l'année inquiète plusieurs villes nord-américaines, qui craignent de voir des milliers de vélos « parasites » déferler dans leurs rues. Interpellé par l'émergence de nouveaux opérateurs aux pratiques agressives, Montréal dit suivre la situation de près et se tient prêt à intervenir.

Sans crier gare, l'entreprise chinoise Bluegogo est débarquée à San Francisco le 30 janvier dernier pour se lancer à la conquête de l'Amérique du Nord. Du jour au lendemain, des centaines de ses vélos bleus ont commencé à apparaître dans les rues de cette ville de la côte Ouest. L'opération ne s'est pas fait sans grincement de dents, alors que San Francisco dispose déjà de son propre système, Bay Area BikeShare, importé de Montréal. La Ville a depuis resserré les règles pour obliger les opérateurs à obtenir un permis.

Une entreprise agressive

Bluegogo est une jeune société chinoise qui débarque en coup de vent sur le marché du vélo en libre-service. Fondée en novembre 2016, l'entreprise a livré à son premier mois d'existence pas moins de 70 000 vélos. Moins de six mois après son lancement, elle est déjà implantée dans cinq des principales villes de Chine, ainsi qu'à San Francisco, aux États-Unis. Et ce n'est là qu'un début, l'entreprise prévoyant se lancer à la conquête de l'Amérique du Nord, sans en dévoiler davantage sur sa stratégie.

Marché chinois en ébullition

BIXI a beau avoir éprouvé d'importantes difficultés financières à Montréal, les vélos en libre-service représentent un marché en pleine ébullition en Chine, où l'on recense pas moins d'une trentaine d'opérateurs différents. Les deux principaux, Mobike et Ofo, sont implantés dans plus d'une vingtaine de villes, tandis que le dernier venu, Bluegogo, a entrepris une campagne agressive pour se tailler une place à leurs côtés. La multiplication des opérateurs commence toutefois à causer de sérieux maux de tête en Chine, où les vélos, trop nombreux, finissent par être empilés les uns par-dessus les autres, les usagers ne sachant plus où les garer. Certaines villes ont d'ailleurs commencé à saisir une partie des montures jugées excédentaires.

À la conquête du monde

La Chine n'est pas le seul pays où les acteurs jouent du coude. En plus de Bluegogo, d'autres jeunes pousses font leur apparition aux États-Unis et au Royaume-Uni. LimeBike s'apprête ainsi à débarquer elle aussi dans les rues de San Francisco. Une autre, Spin, a profité du festival SXSW pour lancer ses activités en trombe d'Austin, au Texas. Ces nouveaux opérateurs ont tous en commun d'être plus « légers » que les systèmes de vélos en libre-service les plus répandus. Plutôt qu'épouser le modèle de BIXI, cette nouvelle génération d'opérateurs n'utilise plus de stations d'ancrage, chaque vélo comportant son propre système de verrouillage. Ainsi, plus besoin de laisser le vélo à un point précis : il suffit de verrouiller le vélo lorsqu'on arrive à destination. Ces systèmes sont ainsi beaucoup plus économiques à implanter puisque les stations d'ancrage peuvent coûter plusieurs milliers de dollars par vélo.

Les Villes répliquent

L'arrivée massive de ces systèmes « parasites » inquiète toutefois les 55 villes américaines qui se sont dotées d'un système de vélos en libre-service, la majorité ayant opté pour la technologie de BIXI avec stations d'ancrage. Épicentre de cette effervescence, San Francisco vient d'adopter un nouveau règlement pour obliger les opérateurs de vélos en libre-service à obtenir un permis, faute de quoi les montures pourront être saisies. Plusieurs craignent pour la sécurité des usagers, ces nouveaux vélos en libre-service étant moins résistants que ceux de type BIXI, reconnus pour leur robustesse.

Systèmes en péril ?

La National Association of City Transportation Officials (NACTO) a fait une sortie publique cette semaine pour dénoncer ces systèmes « parasites ». « Les systèmes de vélo en libre-service fonctionnent quand ils sont bien intégrés au réseau de transport de la ville », dit Kate Fillin-Yeh, directrice stratégique de l'organisation. Or, ces systèmes sans stations d'ancrage se trouvent ainsi sans attache au réseau local de transports en commun. La NATCO craint également pour la survie des systèmes en place. « L'une des craintes, c'est qu'en inondant le marché, ces entreprises ne noient les systèmes existants. Et comme ces entreprises ne semblent pas avoir de plan à long terme, elles risquent de fermer boutique aussi subitement et, en bout de piste, les villes vont se retrouver avec un moins bon service de transport qu'en ce moment », ajoute Kate Fillin-Yeh.

Montréal aux aguets

Le phénomène inquiète la Ville de Montréal, qui dit suivre la situation de près. « Nous sommes bien au fait de cette pratique qui a eu lieu dans certaines villes en Amérique », confirme Philippe Sabourin, porte-parole de la métropole. La Ville prévient qu'elle est prête à intervenir rapidement si un tel système devait faire son apparition dans l'île. La métropole a analysé sa réglementation et se dit outillée pour intervenir si des vélos « parasites » devaient apparaître du jour au lendemain. « Si cela se produisait, différents règlements pourraient trouver application », assure M. Sabourin.

L'organisme BIXI Montréal, qui gère le système de la métropole, se montre perplexe devant l'arrivée de ces vélos de nouvelle génération.