Dans un avis qui soulève une certaine controverse, la Direction régionale de santé publique (DRSP) a donné mardi le feu vert au remplacement des vieux luminaires de la Ville de Montréal par des diodes électroluminescentes. La DRSP reconnaît qu'aucune étude scientifique n'a évalué les effets sur la santé de ces luminaires, mais elle conclut néanmoins que le projet ne «représente pas de danger pour la population».

La Ville de Montréal cherche depuis longtemps à remplacer les vieilles lampes au sodium de ses 132 000 lampadaires par des diodes électroluminescentes (DEL). Les autorités ont jeté leur dévolu sur ce qu'on appelle des «DEL 4000 K», qui émettent une lumière beaucoup plus blanche que celle, plutôt orangée, des luminaires actuels. Parce qu'elles nécessitent moins d'entretien et consomment moins d'électricité, les DEL permettraient à la Ville d'économiser 278 millions en 20 ans, selon ses propres calculs.

Au printemps, la Ville de Montréal avait cependant suspendu son projet de conversion et demandé à la Direction régionale de la santé publique de lui fournir un avis sur la question. C'est que des chercheurs et citoyens s'inquiétaient du fait que les nouvelles DEL contiennent une plus forte proportion de lumière bleue. La lumière bleue est celle qui régule nos horloges biologiques en bloquant la production de mélatonine, l'hormone du sommeil. Des études suggèrent qu'une trop grande exposition à la lumière bleue la nuit peut dérégler cette horloge biologique et entraîner toutes sortes de problèmes de santé, dont certains cancers.

Après avoir épluché la littérature scientifique, la DRSP rejette toutefois ces allégations. Elle invoque d'abord le fait que malgré des corrélations observées entre l'exposition à la lumière bleue et certains problèmes de santé, il n'existe aucun lien de cause à effet avéré entre les deux phénomènes. La DRSP calcule aussi que les nouveaux lampadaires n'entraîneraient pas une augmentation «significative» de l'exposition des citoyens à la lumière bleue par rapport aux autres sources d'exposition.

«Notre conclusion est qu'il n'y a pas de risques pour les Montréalais», résume à La Presse Louis-François Tétreault, l'un des auteurs du rapport de la DRSP.

La DRSP recommande néanmoins à la Ville d'informer la population lors de l'installation des nouveaux luminaires et de mettre en place un système de gestion des plaintes pour corriger rapidement les problèmes de lumière intrusive qui pourraient survenir.

«La Ville de Montréal prend acte du rapport de la Direction régionale de la santé publique et fera part, dans les prochains mois, de sa position dans le dossier des luminaires à la DEL», a réagi mardi Aref Salem, responsable du transport à la Ville de Montréal.

Des critiques

L'avis de la DRSP soulève toutefois les critiques de Martin Aubé, professeur de physique au cégep de Sherbrooke, qui étudie les effets des lumières DEL. L'expert se demande comment la DRSP a pu conclure que l'installation des DEL 4000 K ne «présente pas de danger pour la santé de la population» alors qu'elle écrit elle-même dans son rapport qu'il n'existe «à ce jour aucune étude évaluant l'effet de la lumière émise par les luminaires de rue sur la santé».

«C'est une erreur méthodologique préoccupante», a dit l'expert à La Presse.

M. Aubé croit que la DRSP ne peut conclure que les DEL 4000 K sont sécuritaires simplement parce qu'elle n'a pas trouvé de lien de cause à effet entre l'exposition accrue à la lumière bleue et les problèmes de santé. Selon lui, le niveau de connaissance actuel ne permet pas de tirer des conclusions aussi tranchées.

«Les études épidémiologiques, par définition, ne montrent pas de liens de causalité. Mais si on démontre, par exemple, que plus l'éclairage est bleu, plus on a des cas de cancer, le fait qu'il n'y ait pas de lien de causalité n'est pas une raison pour écarter l'étude», affirme M. Aubé.

La DRSP réplique en disant que l'exposition à la lumière bleue provoquée par les lampadaires serait trois fois plus faible que celle des lumières intérieures dans nos domiciles. Mais Martin Aubé rappelle que c'est surtout le moment de la journée où cette exposition se produit qui compte pour la régulation de l'horloge biologique et s'inquiète de la lumière des nouveaux lampadaires qui pourrait filtrer dans les maisons pendant la nuit.

La DRSP juge que cette quantité de lumière serait «extrêmement faible», mais admet aussi dans son rapport qu'il est «impossible d'identifier un niveau d'exposition à la lumière n'engendrant pas d'effets physiologiques».

En entrevue à La Presse, le spécialiste américain de la lumière George Brainard, dont les recherches sont abondamment citées dans le rapport de la DRSP, avait déjà affirmé qu'il n'installerait pas des DEL à 4000 K s'il était élu maire d'une ville, même s'il n'existe aucune preuve de leur danger.

«J'appliquerais le principe de précaution, mais je dois dire que je ne pourrais citer aucune étude qui montrerait un danger clair et spécifique de choisir les DEL à 4000 K», avait dit celui qui dirige le programme de recherche sur la lumière à l'Université Thomas Jefferson, à Philadelphie.

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QUELQUES VILLES QUI ONT ADOPTÉ L'ÉCLAIRAGE DE RUE À DEL

Ottawa

New York

Cambridge (É.-U.)

Los Angeles

Pittsburgh

Londres

Zurich

Source : Direction régionale de la santé publique de Montréal