Les camions en surcharge qui transportent plus de 66 tonnes ne pourront plus entrer dans l'île de Montréal ou en sortir en empruntant le pont Champlain, à compter du 10 octobre, en raison de la fragilité de cet ouvrage en fin de vie utile, qui réagit mal à la circulation hors-norme.

Alors que deux des plus gros chantiers de construction du Québec sont en activité dans les environs immédiats du pont - le nouveau pont Champlain et l'échangeur Turcot -, cette restriction de circulation vise principalement le transport de machinerie lourde et de grandes pièces de matériaux de construction, comme des poutres en acier ou des structures de béton.

En annonçant ces restrictions de poids, hier, la société Les Ponts Jacques-Cartier et Champlain (PJCCI), responsable de l'entretien des ponts fédéraux de la métropole, a indiqué que « le pont est très sollicité par les grands chantiers de construction de la métropole » et que le passage « à répétition » de camions en surcharge « peut créer une fatigue et fragiliser davantage la structure du pont ».

La mesure préventive touche uniquement les camions en surcharge qui détiennent des permis de transport de classes 5 et 6. Les permis de classe 5 permettent le transport de charges allant de 66 à 79 tonnes. Les permis de classe 6 concernent les chargements de plus de 79 tonnes, qui sont relativement rares. PJCCI en a eu une vingtaine à traiter, l'an dernier.

Selon la directrice des communications à PJCCI, Julie Paquet, un camion en surcharge de classe 5 a jusqu'à 40 % plus d'impact sur la structure du pont Champlain qu'un camion à charge normale.

Plus de 9000 camions détiennent un permis de classe 5 dans l'ensemble du Québec, mais on ignore combien de ces camions en surcharge traversent régulièrement le fleuve sur le pont Champlain.

Peu de solutions de rechange

La décision de PJCCI d'interdire les camions en surcharge sur le pont Champlain aura des conséquences sur la circulation de la machinerie lourde et la livraison de matériaux sur les grands chantiers voisins, notamment celui du nouveau pont Champlain, situé juste à côté du pont Champlain actuel.

Pour passer d'une rive à l'autre, la machinerie lourde et les matériaux normalement transportés par camions devront transiter par barges, sur le fleuve, ou effectuer des détours de plusieurs kilomètres vers les autres ponts de la Rive-Sud.

Or, c'est là que ça se complique, parce que certains de ces ponts sont déjà interdits aux camions en surcharge.

C'est le cas du pont Mercier, en direction de la Rive-Sud. Il est interdit aux camions en surcharge depuis déjà plusieurs années. Ces camions peuvent emprunter le pont Mercier à partir de la Rive-Sud vers Montréal, mais pas dans le sens inverse, en raison de l'état des structures d'acier du pont.

Le pont Jacques-Cartier est ouvert aux camions en surcharge de classe 5, mais pas de la classe 6.

« Mais des deux côtés du pont, on arrive en ville, dans un environnement qui est loin d'être idéal pour ce type de transport », estime Marc Cadieux, PDG de l'Association du camionnage du Québec.

Le tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine peut accommoder ces deux classes de camions en surcharge, mais il est situé à des kilomètres du pont Champlain, et les corridors routiers qui séparent ces deux grands ponts du Saint-Laurent sont déjà parmi les plus achalandés de la métropole.

« Surpris de l'absence d'alternative »

En entrevue à La Presse, hier, M. Cadieux s'est dit surpris par la soudaineté de cette annonce, et par l'absence de solutions de rechange offertes par la société fédérale qui gère et entretient le pont Champlain, dont l'état de santé devient inquiétant.

« Nous avons une très bonne collaboration avec PJCCI, a dit M. Cadieux, et lorsque des restrictions de camionnage sont mises en place, nous sommes informés d'avance et souvent même consultés avant qu'on les implante. Pas cette fois-ci. J'ai été aussi surpris de l'absence d'alternative ou de toute évaluation des impacts que cette mesure va avoir sur certains transporteurs. »

Les camions en surcharge, qui empruntent généralement des itinéraires planifiés à l'avance, pourront aussi passer d'une rive à l'autre du fleuve Saint-Laurent par le pont à péage de l'autoroute 30, entre Salaberry-de-Valleyfield et Vaudreuil-Dorion, à l'ouest de l'île de Montréal.

« Mais cela exclut les camions avec permis de classe 6, ajoute M. Cadieux, parce qu'il n'y a aucune espèce de collaboration de la part des gestionnaires du pont de l'autoroute 30 avec notre industrie pour des transports spéciaux. »

Le président de l'ACQ déplore que « ça devient de plus en plus compliqué de déplacer des marchandises, dans la région de Montréal », et que ces difficultés de circulation se font au détriment des revenus des entreprises de transport.

15 000 camions par jour

C'est la deuxième fois, en un an, que les gestionnaires du pont Champlain adoptent des mesures « préventives » à l'égard de la circulation des camions pour protéger l'intégrité structurale de cet ouvrage décrépit, dont la vie utile est prolongée à coups de dizaines de millions de dollars par année.

En août 2015, PJCCI a implanté une nouvelle signalisation et des feux de circulation pour rediriger les camions dans la voie du centre, en direction de la Rive-Sud, et sur la voie de droite, vers Montréal. Les deux autres voies de circulation dans chaque direction ont été fermées aux poids lourds, afin de « mieux répartir les charges sur la structure et diminuer la sollicitation des poutres » en béton, rongées par le sel et la corrosion.

Comme pour le bannissement des camions en surcharge annoncés hier, ces mesures sont permanentes et devraient rester en vigueur jusqu'à la fin de 2018, quand la circulation sera déviée sur le nouveau pont Champlain, mis en chantier l'an dernier.

Dans l'intervalle, la société PJCCI doit investir chaque année plus de 100 millions en travaux de réparations ou de renforcement pour assurer que le pont Champlain actuel reste sécuritaire jusqu'à l'ouverture du nouveau pont, prévue dans un peu plus de deux ans.

Plus de 150 000 véhicules traversent chaque jour le pont Champlain entre Montréal et la Rive-Sud. Environ 10 % de ces véhicules, soit environ 15 000 par jour, sont des camions. On estime à 20 milliards la valeur des marchandises qui transitent par camions sur le pont Champlain, chaque année.