La poursuite visant Sintra, accusée par la métropole de gestes de collusion, est la première intentée contre une entreprise qui refuse de participer au programme de remboursement volontaire mis en place après la commission Charbonneau

La Ville de Montréal intente une poursuite de 16,5 millions contre une première entreprise qui refuse de participer au programme de remboursement mis en place à la suite de la commission Charbonneau. La métropole accuse Sintra d'avoir pris part à un cartel ayant fait gonfler le prix de contrats d'asphalte d'au moins 20 %.

Le 2 novembre 2015, Montréal a envoyé des mises en demeure à 380 entreprises et personnes pour les inviter à prendre part au mécanisme de remboursement volontaire mis sur pied par le gouvernement. La Ville prévenait qu'« à défaut de rembourser volontairement les sommes dues à la Ville de Montréal, ces entreprises et ces personnes physiques seront poursuivies dès que la loi le permettra ».

Chose promise, chose due : la métropole vient d'intenter un premier recours, contre Sintra, qui faisait partie des sociétés ayant reçu une mise en demeure.

Cette poursuite arrive plus rapidement que prévu puisque les entreprises ont jusqu'au 1er novembre 2016 pour se prévaloir du programme de remboursement volontaire, soit encore deux mois. Mais Montréal indique que Sintra a refusé de répondre à ses lettres. En fait, l'entreprise a plutôt intenté de son côté une poursuite de 506 000 $ contre la métropole pour obtenir un paiement que Montréal lui refuse justement en raison de sa participation présumée à un cartel.

Montréal a ainsi demandé - et obtenu - cet été l'autorisation du ministre de la Justice afin d'intenter un recours contre Sintra.

La métropole accuse l'entreprise d'avoir participé « à un système frauduleux et dolosif implanté notamment à Montréal, concernant l'octroi des contrats publics, lequel système lui a permis de détourner et de s'approprier illégalement des sommes importantes », peut-on lire dans la poursuite.

Montréal affirme que Sintra a pris part à un cartel dont l'objectif était de « s'approprier la quasi-totalité des contrats octroyés entre 1996 et 2009 et ainsi fermer purement et simplement le marché de Montréal à toute forme de compétition venant de l'extérieur ». Les contrats visés touchaient le domaine de l'asphalte, les travaux de planage de chaussées d'asphalte et la fourniture des mélanges bitumineux.

UN « STRATAGÈME DE COLLUSION À GRANDE ÉCHELLE »

La métropole affirme que les dirigeants de ces entreprises ont tenu des rencontres et eu des communications pour orchestrer leur cartel. « En 2000, les présidents des entreprises membres du cartel, dont Daniel Ducroix, président de Sintra, ont même organisé une rencontre durant laquelle ils ont peaufiné leur stratagème afin d'assurer une collusion à grande échelle », peut-on lire dans la poursuite déposée au palais de justice de Montréal.

La Ville reproche essentiellement à Sintra de s'être entendue pour « fixer les prix de base de l'asphalte, sur les volumes d'asphaltes à produire et sur un partage du marché ». Les entrepreneurs membres du cartel déposaient des soumissions de complaisance « à des prix supérieurs, et ce, dans le but de laisser croire à l'existence d'un libre marché ».

Ce stratagème aurait fait gonfler le prix des contrats « d'au moins 20 % ». Sintra ayant reçu pour 68,6 millions de contrats octroyés de 1996 à 2009, la Ville lui demande de rembourser le cinquième de cette somme, soit 13,7 millions. Elle réclame également des frais de réparation de 2,8 millions.

La réclamation totale de 16,5 millions pourrait grimper, Montréal se gardant le droit d'augmenter sa réclamation pour réclamer un dédommagement dans l'octroi de contrats à d'autres membres du cartel.

La poursuite de Montréal ne mentionne pas les travaux de la commission Charbonneau, mais rappelons que deux témoins ont avancé lors de l'enquête publique que Sintra a pris part à un cartel de l'asphalte. L'un d'eux, Gilles Théberge, a évoqué des marges de profit de 30 % grâce à cette entente avec trois autres entreprises, soit DJL, Simard-Beaudry et Beaver Asphalte. Un ancien président de Sintra, Normand Bédard, qui a été arrêté en 2013 par l'UPAC, a lui aussi admis à la CEIC que son entreprise avait participé à un système de collusion.

Personne n'était disponible chez Sintra, hier, pour commenter l'affaire.