«Ils sont d'un sans-gêne et d'un mépris pour les gens, c'est incroyable!» Claire-Marie Gagnon ne mâche pas ses mots contre Postes Canada. Exaspérée, la résidante de Pierrefonds a fait un «sit-in» pacifique, samedi, devant une boîte postale communautaire qui était en train d'être installée à un endroit qu'elle juge dangereux. Par ailleurs, des dizaines de milliers de Montréalais de l'ouest de l'île devront s'y faire: depuis lundi, leur courrier n'est plus livré directement à leur porte.

Avant qu'elle en vienne à ce geste de désobéissance civile, les nerfs de Claire-Marie Gagnon avaient été mis à rude épreuve par cette affaire «kafkaïenne». «C'est une saga épouvantable! Une saga pendant deux mois!», s'exclame-t-elle en entrevue. Il y a un an, des représentants de Postes Canada sont venus chez elle pour lui annoncer que des boîtes aux lettres seraient installées sur son terrain, tout près de la rue. Au printemps, elles ont été placées à l'endroit prévu, mais les travaux n'ont pas été finalisés.

Coup de théâtre au début de l'été: un nouveau trou est creusé une quinzaine de mètres plus loin, au coin des rues Ferncrest et Graham, dans l'arrondissement de Pierrefonds-Roxboro. Claire-Marie Gagnon est estomaquée. «J'ai appelé Postes Canada. Je leur ai dit que ce n'était pas sécuritaire. Ils m'ont dit qu'ils allaient remplir le deuxième trou pour en faire un troisième sur mon terrain. C'est complètement fou!» Selon Mme Gagnon, cette intersection est très fréquentée par les enfants qui attendent l'autobus scolaire. Lundi, pendant qu'elle montrait la boîte postale à un caméraman, une voiture a failli les heurter en tournant le coin, a-t-elle dit. «C'est la preuve!»

Samedi dernier, des sous-traitants de Postes Canada ont commencé à asphalter le deuxième trou pour préparer l'installation des boîtes postales. «J'ai dit non. Je me suis assise dans le trou. Croyez-le ou non, ils ont continué à mettre le ciment sur mes chaussures! Je leur ai dit: "Vous n'avez pas le droit me toucher!"», raconte-elle, encore ébranlée.

Les policiers sont alors intervenus pour convaincre Claire-Marie Gagnon de quitter les lieux, une intervention filmée par des voisins. Dans une vidéo de la station de radio CJAD, on peut voir un policier expliquer à la citoyenne que les travailleurs ont le droit de mener ces travaux en raison d'une entente avec la Ville. «Demandez au maire Coderre si elle est correcte, l'entente!», réplique-t-elle du tac au tac, assise en indien devant la boîte postale, à côté d'une pile de briques. Mais son geste de désobéissance civile n'aura pas duré bien longtemps. Menacée d'être arrêtée pour méfait, Claire-Marie Gagnon a mis fin à son occupation des lieux à contrecoeur après une demi-heure.

Lundi après-midi, le maire de Montréal a invité la population à ne pas imiter son geste «unique» et «politique» de jeudi dernier au parc-nature de l'Anse-à-L'Orme. Le maire Coderre a appelé plutôt les citoyens à profiter de la campagne électorale pour interpeller les candidats sur l'avenir de Postes Canada. «Ce que je demande à la population: je m'occupe de la politique, inquiétez-vous pas, mais posez des questions à vos candidats», a-t-il déclaré.

La résidante de Pierrefonds assure qu'elle n'a pas été inspirée par le coup d'éclat de Denis Coderre, mais plutôt par le blogueur Raif Badawi, emprisonné en Arabie saoudite pour avoir critiqué le régime saoudien. «Quand je me suis assise dans le trou, j'ai pensé à Raif Badawi. Lui, il ne peut pas s'asseoir dans le trou. Moi, j'ai le droit de parole et je vais l'utiliser», explique-t-elle.

Postes Canada a promis de réparer les dégâts sur le terrain de Mme Gagnon et de déplacer les boîtes postales à un emplacement plus «adéquat, centralisé et accessible pour les résidants», a indiqué à La Presse la porte-parole de Postes Canada Anick Losier. Or, les travaux perturbés par Mme Gagnon devront être finalisés, le temps de trouver un autre endroit. La société d'État entend aussi faire le suivi avec ses sous-traitants concernant le comportement des travailleurs à l'endroit de Mme Gagnon, qui n'était pas «acceptable», a-t-elle ajouté.

Depuis lundi, 88 000 foyers québécois ne reçoivent plus la visite du facteur et doivent se rendre aux boîtes postales communautaires pour récupérer leur courrier.

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Claire-Marie Gagnon est restée une demi-heure dans le trou destiné à une boîte postale jusqu'à ce que la police lui demande de quitter les lieux.

La boîte postale détruite par Denis Coderre sera déplacée

Le coup d'éclat du maire Coderre semble avoir forcé la main de Postes Canada. La boîte postale qui devait être installée au parc-nature de l'Anse-à-L'Orme, à l'extrémité ouest de Montréal, a été déplacée temporairement un peu plus loin, sur la rue Angers, en face du boulevard Gouin. «Le site sera fonctionnel dès [aujourd'hui] pour les résidants. C'est un site temporaire. On essaie d'en trouver un autre adjacent», a déclaré la porte-parole de Postes Canada Anick Losier.