Les graffitis sont peut-être des oeuvres d'art aux yeux des artistes, mais aux yeux de la loi, ils demeurent toujours des actes de vandalisme. Les contribuables de la grande région de Montréal dépensent chaque année près de 5 millions de dollars pour essayer de les effacer du paysage, a appris La Presse.

Le nettoyage des graffitis sur les murs des arrondissements et des organismes de transport a coûté l'an dernier au moins 4,4 millions de dollars aux contribuables, a appris La Presse, selon des chiffres obtenus par l'entremise de la Loi sur l'accès à l'information.

Nous avons demandé aux 19 arrondissements de Montréal, à la Société de transport de Montréal, à l'Agence métropolitaine de transport et au ministère des Transports du Québec (région de Montréal) quel était le coût des opérations de nettoyage des graffitis sur le mobilier urbain, les bâtiments et le parc de véhicules de l'arrondissement.

Après calcul, cette somme est d'au moins 3 390 800,13 $ pour 2014. Et elle ne tient pas compte des budgets consacrés au nettoyage de graffitis dans les arrondissements d'Outremont, de Villeray-Saint-Michel- Parc-Extension et Saint-Léonard, qui ont refusé de nous ouvrir leurs livres. « Nos dossiers ne contiennent aucun document pertinent à votre demande. Cette tâche est effectuée par les employés cols bleus de l'arrondissement », nous a-t-on répondu.

Aux dépenses des arrondissements s'ajoute une enveloppe de 1,1 million prévue chaque année par la Ville dans son budget propreté. L'argent doit servir à nettoyer les graffitis sur le domaine public, en plus de financer des activités de prévention et la création de murales. De ce budget, 650 000 $ seront consacrés au nettoyage dans la zone dite du « centre-ville touristique », qui touche les arrondissements de Ville-Marie, du Plateau-Mont-Royal, du Sud-Ouest et de Côte-des-Neiges - Notre-Dame-de-Grâce.

En additionnant les sommes prévues pour nettoyer les graffitis à Laval et à Longueuil (243 738 $ pour les deux villes), on obtient donc un total approchant les 5 millions de dollars.

Environ 200 000 m2 de graffitis sont nettoyés chaque année à Montréal.

Hormis quelques fluctuations, les budgets sont plutôt stables dans les arrondissements année après année.

Quelques écarts notables sont toutefois observés à certains endroits, comme dans l'arrondissement du Sud-Ouest, où le budget total du nettoyage est passé de 183 000 $ en 2012 à 283 000 $ en 2014.

Rosemont sonne la charge

Si la plupart des arrondissements font affaire avec des sous-traitants, d'autres confient le nettoyage à leurs cols bleus. À certains endroits, on partage les tâches. C'est le cas à Rosemont - La Petite-Patrie, où l'enlèvement des graffitis sur le domaine public - incluant la marquise de la Plaza Saint-Hubert - est confié à deux équipes de cols bleus. L'organisme Tandem a pour sa part hérité d'un contrat d'un peu plus de 150 000 $ pour le nettoyage sur le domaine privé. En entrevue, le maire de l'arrondissement dit avoir assisté à une véritable explosion des graffitis il y a trois ans. « Plusieurs problèmes urbains comme l'itinérance et la prostitution se déplacent. On a dû revoir notre stratégie », constate le maire, qui s'est vu refuser une part du budget offert aux quatre arrondissements de la zone du « centre-ville touristique ».

Autre problème, l'organisme Tandem a besoin de l'autorisation des propriétaires pour enlever les graffitis. Le hic, c'est que les propriétaires ne les rapportent pratiquement jamais, ce qui nuit au bon roulement des travaux.

Les propriétaires de son quartier doivent aussi eux-mêmes assumer les coûts de nettoyage. Une façon de les responsabiliser, justifie le maire. « Est-ce que les fonds publics doivent servir à payer le vandalisme sur le domaine privé ? », demande François Croteau.

Il ne se dit toutefois pas prêt à imiter son homologue de Côte-des-Neiges - Notre-Dame-de-Grâce, Russell Copeman, qui impose depuis trois ans des contraventions parfois salées aux propriétaires récalcitrants.

Pour ralentir le problème, le maire Croteau envisage plutôt des solutions alternatives comme les murales, les vignes grimpantes ou l'application d'un enduit antigraffitis sur les murs à risque.

Comme Rosemont, d'autres arrondissements collaborent aussi étroitement avec le milieu communautaire pour tenter de réduire le problème en amont.

Mercier - Hochelaga-Maisonneuve, par exemple, a signé une convention de trois ans avec l'organisme communautaire Y'a Quelqu'un l'aut'bord du mur (YQQ). Cette convention comportait notamment l'embauche et la formation de jeunes issus de milieux défavorisés, le nettoyage des graffitis et diverses solutions de rechange comme la conception de murales.

Dans un rapport très détaillé de ses interventions, l'organisme a rapporté une hausse des demandes de nettoyage de graffitis au cours des dernières années. Si les techniciens de YQQ enlevaient annuellement 8000 m2 de graffitis, ce nombre a plus que doublé en 2013, puisque l'organisme prévoyait devoir en nettoyer 20 000 mètres carrés.

Revoir les solutions

Selon le conseiller municipal de Verdun pour Projet Montréal et ancien graffiteur Sterling Downey, le nettoyage des graffitis ne fonctionne tout simplement pas. Les graffiteurs le perçoivent simplement comme une provocation, explique-t-il. Il faudrait plutôt, selon lui, créer une table de concertation pour trouver des solutions concrètes, tenant compte de la mobilisation du milieu à faire les choses dans le respect. « Le nettoyage ne fonctionne pas. J'ai encore des tags et des throw up datant des années 90 qui sont visibles. »

« Si tu veux vraiment faire avancer quelque chose, il faut trouver une solution pour tout le monde. Et ça ne passe pas toujours par la répression », résume Sterling Downey.

- Avec Serge Laplante

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Cet édifice industriel de la rue Ontario est couvert de graffitis.

La chasse aux graffiteurs

Contraventions

La police rapporte en moyenne 2650 contraventions et une centaine d'arrestations chaque année pour lutter contre les graffitis et répondre aux centaines de plaintes provenant de citoyens et commerçants dérangés par cet art. Le nombre de plaintes et d'arrestations a toutefois connu une baisse au cours des dernières années. Par exemple, 335 contrevenants ont été arrêtés en 2011, contre 104 en 2014. Une faible répression dans l'ensemble, étant donné que les graffitis sont rarement dénoncés, explique Pierre Liboiron, commandant du poste de quartier 16 (Verdun - L'Île-des-Soeurs) et responsable du dossier des graffitis pour le Service de police de la Ville de Montréal.

Quartiers huppés 

C'est dans les quartiers comme Notre-Dame-de-Grâce, Ville-Marie Ouest et Westmount que la répression policière est la plus élevée. Même chose dans le quartier Mont-Royal-Outremont, où les contraventions de moins de 5000 $ ont connu un bond spectaculaire, passant de 58 en 2012 à 306 l'année suivante. C'est la proverbiale pointe de l'iceberg, nuance toutefois le commandant Liboiron, qui ne peut dire si une volonté politique explique l'ampleur des contraventions dans des quartiers huppés. Mais il est possible, selon lui, que les interventions pour les graffitis soient plus nombreuses dans ces quartiers, simplement parce que les policiers ont moins de problèmes avec la drogue ou d'autres incivilités.

Trois façons de sévir

Il existe trois façons de sévir contre les graffiteurs : avec des poursuites au civil, au criminel ou en refilant la facture de nettoyage au contrevenant (ou à ses parents s'il est d'âge mineur).

La majorité des graffiteurs appréhendés, soit 65 %, sont d'ailleurs mineurs. « Ce qui détermine si c'est au civil ou criminel, c'est souvent la preuve du flagrant délit. Si c'est le cas, c'est plus facile à défendre à la cour. » Le policier admet qu'une inculpation en vertu du Code criminel permet d'imposer des conditions, notamment des interdictions de territoires.

Expertise

Pour étayer leur preuve, les policiers ont aussi sous la main un expert en calligraphie, capable d'analyser les signatures et tags abandonnés dans le paysage urbain.

La police ajoute d'ailleurs bien connaître les têtes d'affiche du milieu des graffiteurs. M. Liboiron ajoute qu'il faut aussi tenir compte du fait qu'il y a plusieurs imitateurs, qui tentent de copier le style de leur idole.

Sensibilisation

Malgré la prévention, le problème se règle beaucoup plus facilement avec la sensibilisation, reconnaît le commandant Liboire, qui vante le travail des policiers communautaires dans les écoles. « Avant de sortir, les jeunes se pratiquent des milliers de fois dans leur cartable ou à la maison, les parents ont aussi leur rôle à jouer. »

Des murales sont aussi offertes aux graffiteurs, avec le concours des organismes communautaires, ajoute-t-il.

Chiffres

Nombre de plaintes à la police

• 2011 : 2204

• 2012 : 1555

• 2013 : 1645

• 2014 : 1041

Nombre d'arrestations en vertu du Code criminel

• 2011 : 335

• 2012 : 119

• 2013 : 93

• 2014 : 104

Amende maximum pour un mineur : 100 $

Amende maximum pour un adulte : 1000 $