Le responsable des infrastructures au sein du comité exécutif de Montréal, Lionel Perez, a imposé sa vision politique à la machine administrative afin de décrire de façon positive le recours aux services privés en ingénierie dans des documents officiels remis aux élus.

Il y a encore quelques semaines, l'embauche de firmes de génie était justifiée par un manque de ressources internes dans les sommaires décisionnels, les documents qui servent de base aux décisions des élus. Dorénavant, on affirme plutôt qu'il s'agit d'un avantage pour Montréal, a appris La Presse.

Dans un échange de courriels datant de mars dernier entre le politicien Lionel Perez et le directeur général Alain Marcoux, que La Presse a obtenu, M. Perez exprime clairement sa volonté d'aller en ce sens. Selon lui, les justifications contenues dans les sommaires décisionnels sont trop «simplistes et donnent un portrait erroné».

Insatisfaction politique

«J'ai questionné les services dont je suis le responsable politique sur le justificatif de sommaires décisionnels, car je n'étais pas satisfait du peu d'explications données», écrit M. Perez en se référant à des sommaires décisionnels liés à des projets d'infrastructures.

M. Perez précise même le texte qu'il souhaite voir apparaître dans les sommaires décisionnels. L'expression «étant donné les ressources techniques et professionnelles internes limitées» doit disparaître. Il propose un long texte qui se conclut ainsi: «Il est donc avantageux pour la Ville de faire réaliser les activités de surveillance par des firmes externes. Ce modèle d'affaires permet à la Ville de conserver et maintenir son expertise dans l'inspection, la planification, l'élaboration des projets et la gestion des chantiers.»

Cinq jours plus tard, le directeur général a mandaté un collègue pour «préparer un projet de directive pour demander à tous les services d'améliorer leur rédaction de la section «justification» des sommaires décisionnels, dans le sens souhaité par M. Perez». Mais il n'est pas question d'attendre: M. Marcoux souligne qu'il faudrait «améliorer la situation» dès maintenant.

Le jour même, le directeur général adjoint, Marc Blanchet, a demandé la collaboration de tous les directeurs de services. En cela, ils suivront tous l'exemple de Lionel Perez. «Lesdits sommaires ont été modifiés, avant leur ficelage, suite à mes commentaires», a écrit M. Perez à M. Marcoux. Or, ces changements ont été faits même si les dossiers portaient déjà la signature de fonctionnaires qui avaient ainsi engagé leur responsabilité professionnelle. Ceux-ci n'auraient pas été prévenus de la situation.

«C'est inexact!», a lancé hier Lionel Perez, joint au téléphone. Après sa première réaction, M. Perez a souligné que les services municipaux sont responsables d'avertir les fonctionnaires impliqués.

L'un des dossiers concerne l'attribution d'un contrat à la firme de génie-conseil Les Consultants SM pour la surveillance du chantier de réfection du pont d'étagement Rockland. L'autre sommaire décisionnel explique la proposition de conclure une entente-cadre de services professionnels avec SNC-Lavalin pour la gestion de la surveillance des travaux pour le programme de voirie.

À La Presse, Lionel Perez a affirmé que «l'enjeu est de donner plus d'information et plus de transparence». «On voulait un portrait plus juste», a-t-il ajouté, en soulignant qu'il ne faut pas y voir une décision idéologique favorable au privé.

«Traficotage», dit le syndicat

Au Syndicat professionnel des scientifiques à pratique exclusive de Montréal (SPSPEM), qui est composé à 95% d'ingénieurs, on s'indigne de la situation qui masque, selon lui, le manque de ressources internes.

«C'est du traficotage! C'est excessivement grave d'agir ainsi. Ça me rappelle le dossier des compteurs d'eau dans lequel l'information a été manipulée», affirme le vice-président syndical, André Émond.

Ce dernier ne cache pas son inquiétude par rapport au fait que l'administration Coderre présente le recours aux firmes de génie comme un avantage. «C'est complètement arbitraire. Ça signifie que les sommaires décisionnels sont maintenant teintés par la politique», souligne M. Émond, qui ajoute que «les ingénieurs de Montréal sont privés de leur devoir de donner l'heure juste».

«Ils ne sont pas là pour donner des avis de complaisance. C'est un gros retour en arrière», croit-il.

Le 10 avril dernier, le directeur général a signé une note destinée à tous les directeurs de services et les directeurs généraux adjoints, qui reprend presque mot à mot l'argumentaire de Lionel Perez. Il précise les libellés à proscrire, dont l'insuffisance des ressources pour répondre aux besoins de la Ville, et donne des exemples concrets de ce qui est attendu de la part des employés qui rédigent les sommaires décisionnels.