Les cibles potentielles d'attentats terroristes sont-elles bien protégées à Montréal? Non, dénonce une haute dirigeante de la Bourse de Montréal, qui reproche à son employeur de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour renforcer la sécurité après qu'un proche de Martin Couture-Rouleau est allé rôder sans raison apparente dans ses bureaux du centre-ville.

«J'espère que de mettre ces faits à la lumière du jour fera une différence. Pour moi, le silence sur le sujet de la violence ou le terrorisme n'est ni souhaitable ni acceptable», écrit l'avocate Pauline Ascoli, vice-présidente, affaires juridiques, depuis 2012 à la Bourse de Montréal, dans une déclaration écrite envoyée en exclusivité à La Presse.

Le 8 septembre dernier, à peine un mois avant l'attaque qui a coûté la vie à l'adjudant Patrice Vincent à Saint-Jean-sur-Richelieu, un homme entretenant des liens avec Couture-Rouleau s'est présenté aux bureaux de la Bourse, au centre-ville de Montréal, où il aurait passé plusieurs minutes. Notons qu'on y transige des produits dérivés. De manière générale, les particuliers n'ont donc aucune raison de s'y trouver.

Arrestation

Un mois plus tard, le suspect en question était arrêté d'urgence pour des raisons de sécurité nationale dans la foulée du passage à l'acte de Martin Couture-Rouleau et des attentats d'Ottawa. Il est toujours derrière les barreaux.

Après son arrestation, les autorités ont découvert qu'il s'était rendu dans les bureaux de la Bourse. Une visite jugée assez inquiétante pour que des enquêteurs de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) rencontrent à au moins deux reprises les responsables de la sécurité de l'organisme ainsi que certains employés dans les semaines qui ont suivi les attaques terroristes.

La GRC a refusé de confirmer cette information, mais Me Ascoli était elle-même présente lors des deux réunions.

«Ne pas semer la panique»

L'avocate, qui estime que la sécurité est déficiente à la Tour de la Bourse, dit avoir fourni plusieurs conseils juridiques à son employeur en lien avec l'incident. «Mes obligations à titre de membre du Barreau m'empêchent de communiquer les conseils que j'ai donnés à mon client en matière de droit pénal, de santé et de sécurité au travail, de responsabilité civile, de gouvernance et sur ses obligations réglementaires.» Elle déplore que les employés n'aient pas été alertés.

«On prétend ne pas vouloir semer la panique. Mais plus les employés sont informés, plus ils participent à assurer la sécurité de l'entreprise», dit Pauline Ascoli en entrevue.

Plus que ça: elle reproche à son employeur de l'avoir intimidée à la suite des conseils qu'elle a donnés. «On m'a demandé à plusieurs reprises de me taire.» Le président de la Bourse, affirme-t-elle, l'aurait incitée à lâcher prise, «or else».

La responsable des affaires juridiques du TMX à Toronto l'aurait insultée lorsqu'elle a tenté de rectifier le compte rendu d'une rencontre avec la GRC et le service de sécurité qu'elle ne jugeait pas représentatif. Elle nomme quatre dates précises lors desquelles elle aurait été victime d'intimidation de la part de ses supérieurs.

Depuis février, l'avocate est en congé de maladie.

Avec sa sortie publique, elle met son emploi en jeu. «J'ai décidé de m'exprimer publiquement pour que les employés de la Tour de la Bourse puissent agir en connaissance de cause. On a beau ne pas vouloir semer la panique, mais pour moi, on se doit d'être responsables envers les autres. La culture du silence tue. Parfois, littéralement.»

11-Septembre

Le 11 septembre 2001, Pauline Ascoli a perdu 69 collègues dans l'attaque contre les tours du World Trade Center alors qu'elle travaillait pour le Crédit Agricole Indosuez. «Je déplore la politique qui entoure ces questions et, surtout, l'intimidation de ceux qui osent en parler. On met des gens à risque puis on s'excuse après l'attentat, faisant semblant qu'on n'était au courant de rien. Combien de fois est-ce que ça s'est passé comme ça?»

Joint hier par La Presse, un porte-parole du TMX, responsable de la Bourse à Montréal, a expliqué ne pas pouvoir commenter l'affaire. «Nous ne commentons pas sur les éléments de sécurité, justement pour des raisons de sécurité, dit Mathieu Labrèche dans une réponse écrite. Nous prenons les inquiétudes de nos employés au sérieux. Elles sont examinées de manière approfondie et avec sensibilité.»

Aux allégations d'intimidation de Me Ascoli, il répond ne pas pouvoir aborder les questions particulières relatives aux employés, selon le code de déontologie des employés. «Ce type de comportement ne serait pas toléré par un de nos employés.»