L'implantation d'UberX à Montréal a déjà des impacts «potentiellement destructeurs» sur l'industrie, selon le nouveau président de l'Association haïtienne des travailleurs du taxi, Stanley Bastien. Le président du plus important regroupement de chauffeurs et propriétaires de l'île affirme que le prix du permis de taxi est en chute libre, «d'un minimum de 20%» depuis le lancement de l'application à la fin du mois d'octobre.

Selon lui, la venue d'UberX sur le marché rend les banques «plus frileuses». Elles hésiteront à prêter de l'argent à ses membres qui souhaitent acheter un permis. Ce dernier est obligatoire pour tout travailleur souhaitant utiliser son véhicule comme taxi. «S'il fallait que le permis de taxi plante, que des gens perdent leur travail, plus de 4000 familles pourraient en subir les conséquences», estime celui qui représente plus de 3500 chauffeurs et propriétaires. Les détenteurs de permis voient celui-ci comme un investissement qu'ils peuvent revendre à un autre travailleur à la fin de leur carrière.

Ces préoccupations sont aussi partagées par Max-Louis Rosalbert, président du regroupement des propriétaires et chauffeurs de taxi de Montréal, l'autre association majeure sur le territoire. Selon lui, les travailleurs «sont plus nerveux» depuis l'arrivée de la société américaine.

«Il y a plusieurs de mes membres qui pensent à se défaire de leur permis», avance Max-Louis Rosalbert en entrevue à La Presse. Pour lui, cette situation crée un déséquilibre entre l'offre et la demande des licences, ce qui en fait diminuer la valeur sur le marché. Le prix d'un tel permis est évalué à environ 190 000$. Stanley Bastien pense que les perturbations actuelles doivent amener les travailleurs à innover pour rester compétitifs.

Il affirme que le service «inégal» offert par quelques chauffeurs nuit à la crédibilité de l'industrie et profite à des entreprises comme Uber. Le représentant se dit d'ailleurs intéressé par la proposition de l'entrepreneur Alexandre Taillefer. L'homme d'affaires souhaite regrouper les taxis sous une seule société ultramoderne pour faire concurrence au géant du transport.

Des réticences

Le président de l'Association haïtienne des travailleurs du taxi émet en revanche certaines réserves sur l'initiative de M. Taillefer, puisqu'elle n'explique pas clairement ce qui se passerait avec la valeur des permis des propriétaires.

«Le but de la coop est intéressant, mais dans la mesure où les propriétaires ne perdent pas leur investissement», soutient M. Bastien. Le nouveau président précise ne pas avoir de problème avec Uber, l'autre application lancée par l'entreprise californienne.

Il critique aussi le gouvernement qui, pense-t-il, met du temps à légiférer pour empêcher ce «transport illégal» que représente à ses yeux UberX. L'application permet à presque n'importe quel Montréalais de se transformer en chauffeur de taxi et d'offrir ses services sans se soumettre aux règles en vigueur établies par l'industrie.

En entrevue à La Presse la semaine dernière, le ministre des Transports Robert Poëti affirmait pourtant que les chauffeurs utilisant UberX s'exposeraient bientôt à voir leur voiture saisie par les inspecteurs du Bureau du taxi.

Le directeur général d'Uber Montréal, Jean-Nicolas Guillemette, croit qu'au-delà des chauffeurs qui se plaignent, son nouveau produit permet surtout de «répondre à un besoin» négligé au cours des dernières années par l'industrie. «On entend les chauffeurs de taxi se plaindre, mais on n'entend pas les citoyens». M. Guillemette a rencontré Robert Poëti plus tôt cette semaine pour lui proposer des solutions afin de s'assurer de la légalité de son service.

Unir les associations pour se défendre

Stanley Bastien souhaite aussi «restructurer» l'Association haïtienne des travailleurs du taxi. Pour l'instant, le chauffeur ou propriétaire membre doit obligatoirement être d'origine haïtienne.

Il pense que cette règle est archaïque et qu'elle doit être modifiée pour accepter «tout le monde» sans discrimination. «L'industrie du taxi n'a pas de race. Nous n'avons plus les problèmes de 1982 où il y avait des problèmes de racisme.» Il aimerait aussi fusionner ou associer son organisation à celles qui sont similaires à Montréal. Il pense que les problèmes «majeurs» auxquels fait face l'industrie du taxi nécessitent une plus grande solidarité entre les chauffeurs et propriétaires et que cela permettrait aux travailleurs d'avoir un plus grand rapport de force.