Retards, stress et abandons d'emploi: l'impact des travaux routiers sur les travailleurs se fait de plus en plus sentir, selon l'Ordre des conseillers en ressources humaines agréés

La congestion et les travaux routiers ont pris une telle ampleur au Québec - à Montréal en particulier - qu'ils ne sont plus seulement une nuisance quotidienne réservée aux automobilistes. Dans les organisations et les entreprises, les retards au travail s'allongent et se multiplient, la santé psychologique des travailleurs est minée, et de plus en plus d'employés abandonnent ou refusent un emploi dans les secteurs envahis par les cônes orange.

Selon un sondage réalisé en août par l'Ordre des conseillers en ressources humaines agréés (CRHA) auprès de ses membres, des professionnels en gestion du personnel et en relations industrielles, 79% de ceux qui travaillent dans la région de Montréal estiment «que les nombreux travaux routiers ont un impact sur la gestion des ressources humaines» dans leur entreprise.

À l'échelle du Québec, 70% des 1129 CRHA qui ont répondu au sondage partagent ce constat. La tendance est nettement à la hausse: dans un sondage semblable mené en 2011, seulement 55% des CRHA du Québec étaient de cet avis.

«C'est une préoccupation croissante, dit Florent Francoeur, président de l'Ordre des CRHA, qui regroupe plus de 9000 professionnels. On n'a qu'à penser à ce qui s'en vient avec l'échangeur Turcot, le pont Champlain et les travaux de rénovation de la rue Sainte-Catherine, en plein centre-ville, qui vont tous se faire en même temps. Imaginez l'impact sur l'économie, sur nos déplacements, autour de la Place Ville-Marie, par exemple.»

«Les CRHA doivent intégrer cela dans leur gestion, poursuit-il. Nos membres parlent souvent des difficultés d'attirer du personnel. Des candidats potentiels nous disent de plus en plus souvent que jamais ils ne viendront travailler à Montréal. Et des gens quittent volontairement leur emploi à cause des difficultés de circulation.»

Stress et irritabilité

Les résultats du sondage témoignent avec éloquence des impacts des travaux routiers sur le quotidien des travailleurs (voir ci-contre les faits saillants du sondage). 

Dans la région de Montréal, plus de 86% des CRHA estiment que la congestion routière a un «impact psychologique» sur les employés de leur entreprise. Elle induit stress, fatigue ou irritabilité chez ceux qui en sont les «victimes» au point de générer, dans quelques cas, des conflits interpersonnels au travail.

À l'échelle du Québec, 76% des CRHA - soit trois professionnels sur quatre - pensent aussi que les travaux routiers ont un effet sur la santé psychologique des employés de leur entreprise. Bien que concentré dans la métropole, le problème ne touche pas seulement la main-d'oeuvre de Montréal, fait remarquer Ian Marineau, CRHA au Groupe Logan, une entreprise de camionnage et d'entreposage située à Windsor, en Estrie.

«En tant qu'entreprise, on est évidemment directement touchés, dit M. Marineau. On fait environ 30% de nos affaires à Montréal. Nous avons des chauffeurs attitrés pour le port ou pour les terminaux du CN et du CP, mais on a aussi beaucoup de chauffeurs qui ne veulent pas rouler à Montréal. Ça nuit au recrutement et cela nous force à moduler le temps de travail en distribuant les tâches, pour que les chauffeurs en fassent le moins souvent possible.»

M. Marineau affirme qu'il est aussi plus fréquent qu'on «doive péter des ballounes», quand un chauffeur vient de passer 13 heures sur la route, dont 4 ou 5 immobilisé sur une route en chantier. «Il demande à rencontrer son supérieur en arrivant, juste pour ventiler les frustrations.

«Dans l'industrie, en général, les chauffeurs sont rémunérés au kilomètre parcouru, ajoute M. Marineau. Le temps passé dans un embouteillage n'est donc pas perdu seulement pour l'entreprise, mais pour l'employé aussi. Mais on ne peut pas toujours compenser le temps d'attente des chauffeurs sans compromettre la rentabilité même de l'entreprise.»

Limiter les inconvénients

Si le sondage confirme indubitablement la préoccupation croissante des CRHA à l'égard des impacts des travaux routiers sur les employés, il révèle qu'un nombre encore relativement restreint d'entreprises ont mis en place des mesures concrètes pour limiter ces inconvénients.

Dans la région de Montréal, 18% des CRHA (14% à l'échelle du Québec) affirment que l'entreprise qui les emploie a pris des mesures. Les plus souvent citées sont le télétravail (74% à Montréal, 64% au Québec), les horaires flexibles (88%), le covoiturage (16%), la fourniture de titres de transports collectifs (17%) et l'aménagement de stationnements pour vélos (36% à Montréal).

«Il y a encore beaucoup de travail à faire pour inciter les entreprises à aller une coche plus loin parce que, tantôt, ça va devenir un problème de main-d'oeuvre vraiment criant», affirme Florent Francoeur.

«Tout le monde sait ce qui s'en vient avec l'échangeur Turcot, le pont Champlain, le pont-tunnel La Fontaine. Ça va être le cauchemar pendant trois ou quatre ans. Déjà, aujourd'hui, ça devient une raison pour préférer un emploi même un peu moins rémunéré en banlieue ou ailleurs au Québec.»

À mesure que les problèmes liés à la circulation vont empirer, prévoit M. Francoeur, le télétravail ou les horaires flexibles vont devenir plus que de simples mesures d'adaptation. Ce sera «un facteur attractif» pour le recrutement d'employés ou la rétention de professionnels qualifiés et compétents qui ont la possibilité d'aller ailleurs.

«Je pense que, au fil des années, le nombre d'entreprises qui prennent des mesures pour faire face aux problèmes de circulation va augmenter, par voie de nécessité», conclut M. Francoeur.