Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) devrait fournir des armes à impulsion électrique à un plus grand nombre de ses agents, conclut le rapport du coroner au sujet de la mort de Farshad Mohammadi, un sans-abri abattu au métro Bonaventure en janvier 2012.

«Face aux voix qui s'opposent à l'utilisation par les policiers du pistolet électrique», le coroner Jean Brochu souligne que ce type d'arme, «lors de l'intervention auprès de monsieur Mohammadi comme lors d'autres événements survenus dans le passé, n'aurait certainement pas causé plus de dommages que n'en a fait le pistolet de 9 mm».

Qui plus est, poursuit-il, dans un endroit aussi fréquenté qu'une station de métro, «il tombe sous le sens que l'utilisation d'une arme intermédiaire, quelle qu'elle soit, est préférable à l'utilisation d'une arme à feu quand l'ensemble des circonstances permet son emploi».

En fait, pour le coroner, on n'a pas utilisé la bonne arme et on n'a pas eu recours aux bons intervenants.

«Encore une fois, il faut déplorer la mort d'une personne souffrant d'un problème de santé mentale. Encore une fois, des policiers se sont retrouvés en première ligne d'intervention auprès d'une personne nécessitant des soins de santé et des services sociaux plutôt qu'une intervention policière.»

Symptômes psychotiques

Toujours selon le rapport du coroner, Farshad Mohammadi était arrivé seul au Canada en 2006 à titre de réfugié. En juin 2008, il avait été hospitalisé à Toronto en raison de symptômes psychotiques, d'hallucinations auditives et de délire paranoïde.

Une psychose toxique l'a aussitôt après mené à l'hôpital Douglas, à Montréal. Un test a alors révélé la présence de cannabis dans son urine.

Le 6 janvier 2012, M. Mohammadi, qui a fréquenté divers refuges pour sans-abri au fil des ans, a refusé d'obtempérer à l'ordre d'un policier qui lui demandait de s'identifier et d'arrêter de flâner au métro Bonaventure, comme le stipule le règlement.

Craignant à un moment donné que M. Mohammadi ne cherche à l'attaquer à mains nues, le policier a alors sorti son bâton télescopique.

Dans les faits, l'homme avait dans sa main un découpoir (Exacto) avec lequel il a poignardé le policier.

Un collègue est intervenu, mais M. Mohammadi a néanmoins réussi à échapper aux agents et s'est dirigé vers une autre extrémité de la station.

Parce que cet homme «est une menace pour la vie de toute personne qui se mettra sur sa route», a consigné le policier dans son rapport, il a été décidé «qu'il doit être neutralisé».

Les policiers ont cherché le meilleur endroit et le meilleur moment pour ce faire, tentant toujours d'interpeller M. Mohammadi, en vain.

Disant s'être d'abord assuré qu'il n'y avait personne d'autre dans son angle de tir, le policier a d'abord tiré deux coups de feu en direction de M. Mohammadi, qui se trouvait dans un escalier.

«L'homme s'arrête mais ne tombe pas. J'ignore s'il est touché ou juste surpris. Je lui crie une dernière fois: "Get down!", mais il ne réagit toujours pas. Je tire donc un coup de plus et vois l'homme tomber», peut-on encore lire dans le rapport du policier.

L'autre agent a donné un coup de pied sur le couteau pour que M. Mohammadi ne puisse le récupérer.

«Pour ma part, a écrit le policier, craignant qu'il reprenne conscience et qu'il blesse d'autres personnes, je le menotte au dos. Il n'offre aucune résistance.»

Pour plus d'encadrement

Outre de recommander au SPVM d'équiper plus d'agents et de véhicules de patrouille d'armes intermédiaires comme l'arme à impulsion électrique, le coroner recommande qu'on accroisse le nombre d'intervenants sociaux aptes à seconder les policiers dans ce type d'intervention auprès de personnes en crise.

Le coroner demande aussi au ministère de la Santé et des Services sociaux de mettre en place des mesures permettant un meilleur suivi des personnes souffrant de problèmes mentaux ou de toxicomanie.

Depuis janvier 2011, trois hommes en crise ont été abattus dans des circonstances similaires: Mario Hamel, en juin 2011 (Patrick Limoges avait été tué par une balle qui a ricoché), Farshad Mohammadi en janvier 2012 et Alain Magloire en février 2014.

Déjà, dans son rapport de 2012 sur la mort de Mario Hamel et de Patrick Limoges, le même coroner, Jean Brochu, y allait essentiellement des mêmes recommandations que cette fois-ci.

En février, «compte tenu que certaines interventions d'urgence dans des lieux publics auprès de personnes souffrant de troubles de santé mentale ont donné lieu à des décès au cours des dernières années», le coroner en chef du Québec a ordonné la tenue d'une enquête publique.

Elle devait se ternir l'automne prochain, mais le coroner a indiqué hier qu'elle pourrait être retardée de quelques mois.

Pas d'accusation criminelle

Le SPVM a indiqué hier qu'il se penchait actuellement sur les recommandations qu'a exprimées le coroner hier dans le dossier de Farshad Mohammadi.

La Sûreté du Québec, à qui l'enquête policière avait été confiée, a relevé que l'affaire avait été soumise au procureur de la Couronne, qui a décidé de ne pas porter d'accusation criminelle.

Alléguant la confidentialité de ses dossiers, le Commissaire à la déontologie policière n'a pas pu nous indiquer s'il a été appelé à se pencher sur l'intervention policière qui a mené à la mort de M. Mohammadi.

Quant au Réseau d'aide aux personnes seules et itinérantes (RAPSIM), son coordonnateur, Pierre Gaudreau, estime que «le pistolet électrique n'est pas une panacée» et il plaide pour plus de services d'accompagnement (psychiatrique, notamment) pour les personnes fragiles. «Il ne faut pas penser qu'en termes de répression», insiste-t-il.