La consultation publique des Montréalais pour le réaménagement de la rue Sainte-Catherine sera menée par l'entreprise Acertys qui a gagné sans concurrence un appel d'offres public. Or, la même entreprise avait été associée au processus préparatoire de cet appel d'offres, selon des informations obtenues par La Presse.

Quelques jours avant Noël, la Ville de Montréal a annoncé qu'elle s'apprêtait à octroyer un contrat de services professionnels en matière de relations avec les citoyens. Il s'agissait de recueillir le point de vue de la population dans le cadre du projet de la rue Sainte-Catherine, dont les infrastructures souterraines datant de la fin du XIXe et du début du XXe siècle doivent être remplacées de façon urgente; l'affaissement de la chaussée, à deux reprises depuis 2012, confirme le problème.

Legs pour le 375e

Ce grand chantier sera également l'occasion de repenser l'aménagement urbain de cette rue qui est le moteur économique du centre-ville de Montréal. Le maire Denis Coderre souhaite en faire un des principaux legs du 375e anniversaire de Montréal, en 2017.

Les documents d'appel d'offres du 18 décembre dernier comptent les habituelles instructions, le bordereau de soumission, le devis technique et une annexe signée par la firme Acertys. En fait, l'annexe est un rapport d'analyse effectuée quelques mois plus tôt par Acertys lors d'un premier mandat, proposant un processus de participation publique. «En plus de favoriser l'adhésion au projet, l'objectif vise aussi à l'inscrire dans une perspective d'amélioration de l'expérience sur rue et de relance économique durable», peut-on lire.

En mars dernier, Acertys a mis la main sur le contrat qui découle de son propre rapport. Le conseil municipal lui a octroyé 267 000 $ pour orchestrer la consultation qui est prévue ce printemps.

Acertys a concouru seule pour obtenir ce contrat. Onze autres firmes se sont pourtant procuré les documents d'appel d'offres.

Trucage d'offres

La Presse a joint certaines de ces entreprises qui, majoritairement, ne souhaitaient pas être identifiées par crainte de représailles commerciales dans d'autres dossiers. Une seule personne a accepté de parler publiquement, mais toutes ont évoqué les «relents de trucage d'offres» qui ressortent de ce dossier, selon elles.

«Peut-être suis-je un grand naïf, mais je croyais que ces façons de faire avaient été évacuées du paysage montréalais», a commenté le co-président d'AGC Communications, Ahmed Galipeau. «J'ai lu ça attentivement et c'était gros comme ça que le contrat était destiné à quelqu'un», a-t-il ajouté.

Une firme concurrente abonde dans ce sens. «Je n'ai pas été surpris d'apprendre que c'est Acertys qui a obtenu le contrat puisqu'elle avait contribué à l'appel d'offres. Normalement, c'est une condition d'exclusion», dit un de ses officiers. Un autre concurrent a ajouté: «Quand tu contribues à un appel d'offres de quelque façon que ce soit, tu t'exclues du concours. C'est une question d'éthique.»

La politique de gestion contractuelle est claire à cet égard. On en retrouve d'ailleurs deux mentions dans les documents d'appel d'offres. À la section I, on peut lire que le soumissionnaire «affirme solennellement» ne pas avoir «accompagné la Ville dans l'élaboration du présent appel d'offres». Puis, à la section II, les clauses administratives soulignent l'«interdiction de retenir les services d'une personne ayant participé à l'élaboration des appels d'offres».

Une quatrième firme concurrente d'Acertys a soupçonné que l'appel d'offres pouvait être dirigé quand la date du lancement de l'appel d'offres a été connue. «Juste avant Noël, ça impliquait que l'équipe mette le paquet durant le temps des Fêtes. Faire une soumission, c'est beaucoup de travail. Alors, il n'était pas question de servir de faire-valoir», a indiqué une personne de cette société. Par ailleurs, un «critère éliminatoire» a été ajouté à l'appel d'offres. Pour avoir le droit de présenter une soumission, une firme devait avoir réalisé au moins deux mandats de concertation d'envergure pour lesquels des honoraires de 100 000 $ avaient été réclamés. Cela a titillé les concurrents d'Acertys.

«On avait jamais vu ça de telles exigences, s'exclame une personne d'une firme qui s'est procuré les documents d'appel d'offres. C'est devenu clair que l'appel d'offres était truqué.» Un collègue d'une autre entreprise souligne qu'«il n'y a pas grand monde qui peut répondre à ce type d'exigences». «Le projet nous apparaissait très intéressant. Mais le critère des honoraires nous a éliminé d'office. C'est donc à regret que nous avons décidé de ne pas soumissionner», a dit cette personne.

Une plainte officielle

La firme AGC Communications a porté plainte officiellement auprès du contrôleur général de la Ville de Montréal devant ce qui lui apparaissait être un trucage d'offres.

À la Ville, on confirme avoir effectué «des validations». «Le contrôleur n'a identifié aucune action ou mesure pouvant remettre en question la légalité du processus d'appel d'offres. Notamment, les allégations voulant que l'appel d'offres aurait été dirigé ou orienté vers une firme se sont avérées non fondées», a indiqué le porte-parole municipal Gonzalo Nunez.

Ce dernier soutient que bien que le rapport d'Acertys fait partie intégrante de l'appel d'offres, cela «ne lui a conféré aucun avantage stratégique» par rapport à la concurrence. Jacques Bénard, associé principal chez Acertys, a donné des explications semblables à La Presse. «On nous avait d'abord demandé une expertise sur les enjeux et les meilleures pratiques de consultation. Mais la connaissance du dossier était disponible pour tout le monde. Nous n'avons pas eu d'information privilégiée», affirme M. Bénard.