Habituée à sermonner les employeurs quant à l'importance de milieux de travail sains, la Direction de la santé publique de Montréal se retrouve dans une position insolite: ses propres bureaux suscitent l'inquiétude de ses travailleurs quant à la présence d'amiante et de moisissures.

La Presse a obtenu deux rapports éloquents de la Commission de la santé et de la sécurité du travail, datant du 27 février et du 6 mars, à la suite de visites aux bureaux de la DSP, au 1301, rue Sherbrooke Est. Quelque 250 personnes, surtout des techniciens et des professionnels de la santé, travaillent dans l'édifice construit dans les années 50 et acheté par la Ville de Montréal en 1989.

On sait depuis des décennies que l'édifice contient de l'amiante. Plusieurs sources ont indiqué à La Presse qu'à cette problématique s'est ajoutée plus récemment celle de la présence de moisissures. La direction a convoqué une réunion des employés demain, pour faire le point dans ce dossier.

C'est la découverte d'une infiltration d'eau importante dans le toit de l'aile F, le 12 janvier dernier, qui a ravivé les inquiétudes. Le 20 février, une inspectrice de la CSST s'est rendue sur les lieux pour une «intervention concernant un problème de gestion de l'amiante et d'une possible présence de moisissures causant des problèmes de santé aux travailleurs».

Elle interviewe plusieurs personnes qui lui rapportent que l'inquiétude est grandissante au sein du personnel de la DSP.

«Il y aurait un problème d'infiltration d'eau à différents endroits dans le bâtiment depuis plusieurs années, note l'inspectrice dans son rapport daté du 6 mars. Les travailleurs craignent qu'il y ait eu développement de moisissures.»

12 incidents avec l'amiante

Toujours sur la foi d'entrevues, notamment avec une représentante syndicale, l'inspectrice rapporte que «certains travailleurs [...] auraient des symptômes reliés à l'exposition à la moisissure. [...] On m'informe que 2 travailleurs [...] auraient consulté un médecin pour des symptômes relies à l'exposition à la moisissure et qu'ils vont déposer sous peu une demande d'indemnisation à la CSST.»

Enfin, en ce qui concerne les précautions d'usage entourant les travaux impliquant de l'amiante, elle rapporte que «depuis 1998, il y aurait environ 12 événements documentés de travailleurs ayant été exposés à l'amiante». On donne jusqu'au 6 avril prochain pour se conformer aux exigences concernant l'amiante.

Le 24 février, la même inspectrice a effectué une nouvelle visite, cette fois à la suite de la découverte d'amiante dans un espace réduit entre la terre et le plancher, un «vide sanitaire». Un plombier qui devait y effectuer des travaux a découvert «de l'amiante effrité sur le sol». Le local a été fermé et des travaux de nettoyage et de décontamination ont été ordonnés par la CSST.

En raison de la confidentialité des dossiers médicaux, l'organisme ne peut confirmer qu'il y a eu bel et bien demande d'indemnisation de travailleurs. On indique tout au plus qu'on est «satisfait» de la collaboration de la DSP dans ce dossier, qui a jusqu'à maintenant respecté les échéances pour apporter des correctifs.

«On n'aurait jamais laissé traîner ça»

On sait depuis des décennies que le Pavillon Lafontaine, tel qu'on le désigne, contient de l'amiante. «Cet amiante n'est cependant pas dangereux puisqu'il est encapsulé et n'est pas en contact avec l'air», indique François Goneau, porte-parole à la Ville de Montréal.

On profite régulièrement des travaux d'entretien pour en enlever le plus possible, dans le cadre d'«un protocole strict [...] mis en place qui assure la protection des usagers du bâtiment et des ouvriers», assure le porte-parole.

Le directeur de la DSP, Richard Massé, reconnaît qu'il y a de l'inquiétude parmi son personnel. «C'est normal que les gens se posent des questions pour un bâtiment qui n'est pas jeune. Mais ceux qu'on va rencontrer devraient être rassurés par le fait qu'on a pris toutes les mesures nécessaires. Si on avait eu l'information que des gens étaient malades à cause de l'exposition aux moisissures, on n'aurait jamais laissé traîner ça.»

Il donne en exemple l'infiltration d'eau du 12 janvier, alors qu'on a rapidement relocalisé une vingtaine d'employés et enquêté sur l'état de l'aile F. Des tests plus poussés, avec des caméras thermiques et des questionnaires distribués aux employés concernés, devraient permettre d'en connaître plus sur l'état du bâtiment.

Les employés qui assisteront à la réunion de demain auront accès aux «premiers résultats» des analyses. Direct, M. Massé estime qu'il est «fort probable» que des moisissures prolifèrent à certains endroits du Pavillon Lafontaine. «Quand on a regardé, on a vu qu'il y avait des conditions compatibles avec la présence de moisissures. C'est certainement possible que des gens en aient été affectés. Ce sont des choses qu'on est en train de regarder. Il va falloir investiguer plus pour savoir quelles mesures à prendre.»

Pourrait-on aller jusqu'à condamner une partie, voire la totalité du Pavillon Lafontaine? «Il est beaucoup trop tôt pour parler d'une chose comme celle-là. Je ne l'exclus pas, mais je ne saute pas aux conclusions. Quand on en sera là, je serai le premier à prendre une décision et bouger.»

À la Ville de Montréal, on assure suivre la situation de près et avoir apporté les correctifs nécessaires, notamment en réparant la toiture. «Au cours des dernières semaines, la Ville a eu une rencontre avec l'Agence de la santé et des services sociaux pour leur faire part de notre planification eu égard à l'entretien du Pavillon Lafontaine, a indiqué François Goneau. Si la situation devait évoluer, la Ville prendra toutes les mesures nécessaires.»