Le ministre fédéral Denis Lebel a beau promettre le remplacement du pont Champlain pour 2018, son enthousiasme n'est pas partagé par tout le monde. Des acteurs importants des secteurs de la construction et des partenariats public-privé (PPP) jugent que cet échéancier n'est pas réaliste et pourrait faire gonfler les coûts, a découvert La Presse.

Le hic, ce n'est pas tant les trois années prévues pour terminer la construction, mais plutôt le processus de planification avant l'ouverture du chantier, explique-t-on.

Au cours de cette étape cruciale, les plans des architectes sont dessinés, les calculs des ingénieurs sont effectués, les solutions visant à assurer la fluidité de la circulation pour entrer sur le pont et en sortir sont adoptées, et les mécanismes de financement sont fixés. Le ministre Lebel dit qu'à peine 12 mois seront nécessaires pour choisir les consortiums qui déposeront officiellement leur proposition à l'été 2015. L'industrie estime qu'il lui faudrait plutôt deux ans.

«Tout le monde doute de l'échéancier. C'est impossible. Ça ne tient pas la route de commencer les travaux en 2015», explique le PDG d'une grande entreprise qui a requis l'anonymat, étant donné qu'il entend être dans la course. «Il y en a pour un an d'ingénierie, au minimum. C'est sans compter le montage financier, l'analyse des soumissions qui peut durer six mois et les négociations pour une entente finale qui vont s'étaler aussi sur au moins six mois», précise-t-il.

«C'est trop serré, mais on va faire avec», a souligné un autre chef d'entreprise qui préfère demeurer discret puisqu'il a entrepris des discussions avec d'autres firmes pour créer une alliance.

Le coût du risque

L'Association des ingénieurs-conseils du Québec (AICQ) reconnaît que l'échéancier annoncé la semaine dernière en fait sourciller plus d'un dans ses rangs. La PDG Johanne Desrochers craint qu'il n'y ait pas assez de temps en amont du chantier pour tout prévoir et, surtout, pour détailler l'infrastructure qui remplacera le pont Champlain et ses ramifications routières.

«La planification, c'est ce qui fait la différence entre un bon projet et un moins bon projet. Donc si on ne se donne pas assez de temps pour préparer le PPP, si c'est trop court, il y aura nécessairement des ajouts, des dépassements, des changements en cours de route. [...] On comprend tous qu'il y a des considérations de sécurité en jeu mais est-on certain que l'échéancier est réaliste? À cette étape-ci, c'est très sain de soulever des questions», soutient Mme Desrochers.

Celle-ci souligne qu'elle a eu des échos d'entreprises prêtes, malgré tout, à se jeter dans la mêlée pourvu qu'il y ait une compensation financière.

«Tout se fait, mais le risque a un coût. Il n'y a pas un groupe qui va s'engager pour 30 ans si ce n'est pas rentable», rappelle Mme Desrochers.

La Presse a reçu le même son de cloche de grands entrepreneurs: le prix soumissionné dépendra en grande partie du niveau de précision qu'ils auront réussi à établir avant d'amener les grues et les excavatrices aux abords du fleuve Saint-Laurent, disent-ils.

22 mois minimum

Vérification faite auprès de la Société québécoise des infrastructures (la SQI a remplacé Infrastructures Québec) par où tous les grands projets, y compris ceux en PPP, passent pour analyse, le temps requis pour le processus de sélection s'étale sur 22 mois. Dans les faits, la période de conception des infrastructures est souvent nettement plus longue.

Par exemple, le lancement de l'appel de qualification pour le CHUM a été fait en juin 2007. Ce n'est qu'en mars 2009 que les trois consortiums pouvant préparer une soumission furent choisis. Deux ans plus tard, le gouvernement optait pour un projet dont l'entente a été signée en juin 2011. Au total, les préliminaires ont duré quatre ans.

La semaine dernière, Denis Lebel rendait publiques les grandes lignes du dossier d'affaires du remplacement du pont Champlain. C'est à cette occasion qu'il a annoncé un échéancier menant ultimement à l'ouverture d'un nouveau pont en 2018.

Selon les documents déposés, l'appel de qualification doit être lancé ce printemps. L'annonce des consortiums retenus pour être sur la ligne de départ se fera trois mois plus tard, à l'été. Les consortiums bénéficieront ensuite de neuf mois seulement pour ficeler une proposition.

Dans les mêmes documents, Transports Canada reconnaît que le PPP entraîne une «planification et [un] approvisionnement généralement plus longs (bien que le temps perdu soit rattrapé pendant la construction)», mais que dans ce cas-ci, les délais sont «très écourtés».