Alors que le policier au centre de la controverse était rencontré par ses supérieurs, hier, l'internaute qui a capturé la scène sur son téléphone intelligent se réjouissait d'avoir pu susciter le débat.

Adis Simidzija, étudiant de l'Université de Montréal, s'est dit totalement surpris de voir sa vidéo de 52 secondes faire les manchettes partout au pays. La version originale de l'enregistrement a été partagée plus de 12 000 fois sur Facebook, mais cette donnée ne reflète pas le rayonnement de ces images sur de multiples plateformes.

« Je suis heureux qu'il y ait un débat autour des relations entre les itinérants et les policiers, s'est réjoui M. Simidzija en entrevue, et qu'on puisse constater la violence psychologique à laquelle les itinérants se heurtent au quotidien. »

L'étudiant en sociologie affirme que le sans-abri impliqué dans l'altercation est un habitué du métro Jean-Talon. « Pour l'avoir vu à plusieurs reprises, je ne l'ai jamais vu agir de manière agressive », a-t-il assuré.

Le policier du Service de police de la ville de Montréal (SPVM) intervenu sur place dit pourtant au sans-abri avoir reçu quatre appels dénonçant son comportement.

Hier, il a été rencontré par sa hiérarchie. Ian Lafrenière, grand patron des communications au SPVM, a expliqué que la fourchette des mesures possibles, le cas échéant, allait de l'avertissement à la suspension.

Le commandant Lafrenière a ajouté que le sans-abri impliqué était bien connu des policiers qui travaillent dans ce secteur de la ville.

Coderre nuancé

Hyperactif sur les réseaux sociaux alors que la controverse faisait rage, le maire de Montréal a refusé d'imiter beaucoup d'internautes en s'en prenant au SPVM.

Le jour même de l'incident, Denis Coderre avait déploré les propos du policier, mais aussi souligné que « la sécurité au métro [avait] demandé aux policiers de l'expulser parce [qu'il était] trop agressif ».

« C'est un cas de santé mentale. C'est complexe, il y a eu beaucoup d'agressivité et c'était le quatrième appel, a-t-il expliqué hier, en marge d'une cérémonie au Port de Montréal. Mais ça n'excuse en rien les propos. »

Le directeur général de la Mission Old Brewery, Matthew Pearce, a lui aussi refusé de condamner le SPVM en entier.

Les policiers « sont professionnels, ils sont tolérants et ils sont respectueux pour la plupart », a-t-il assuré à La Presse.

- Par Philippe Teisceira-Lessard

La police mal outillée pour gérer les urgences sociales

Jeudi dernier, un policier du SPVM a été filmé par un passant en train de menacer un sans-abri très légèrement vêtu de le menotter à l'extérieur pendant une heure alors qu'un froid polaire sévissait sur la métropole.

«Ce n'est pas aux policiers de gérer les urgences sociales de la rue. Elle n'a pas les outils pour intervenir dans de telles situations.»

Professeure à l'École de service social de l'Université de Montréal, Céline Bellot fait ce constat tout en se disant «plus choquée que surprise» par l'attitude du policier devant le sans-abri du métro Jean-Talon.

«Il y avait là un homme en danger de mort. Il était dehors, en bermuda, par un froid si glacial que de toutes parts on rappelait aux gens de prendre garde aux engelures. Comment se fait-il que la réponse à cette situation ait été la menace?»

Pour Mme Bellot, qui travaille depuis vingt ans dans les pratiques d'intervention auprès des populations marginales, la seule réponse adéquate dans une telle situation aurait été un appel aux services ambulanciers.

Cela a-t-il été fait? Pour l'instant, ce que l'on sait, c'est que les menaces du policier ont été proférées hier après-midi. Or, c'est au cours de la soirée que le sans-abri, souffrant de problèmes mentaux, a été retrouvé et conduit à l'hôpital par des agents.

«Les policiers continuent malheureusement d'être appelés en première ligne, ce qui ne devrait pas être le cas à moins qu'un crime ait été commis», se désole aussi Pierre Gaudreau, coordonnateur du Réseau d'aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM).

M. Gaudreau rappelle que les travailleurs de rue, les refuges et les ambulanciers, particulièrement à -25 degrés °C, devraient être aux premiers rangs de ce genre d'intervention.

Mauvaise presse

C'est d'autant plus vrai, croit quant à elle Mme Bellot, que les policiers n'ont pas bonne presse auprès des sans-abri et qu'il y avait très peu de chances pour que l'homme accepte gentiment d'être conduit au café du coin par le policier.

Il y a bien, à son avis, «un changement de mentalité chez les têtes dirigeantes des services policiers». En témoigne, dit-elle, la formation d'une brigade spécifiquement formée dans ce type d'intervention.

En fait foi aussi ce passage du rapport annuel du Service de police de la Ville de Montréal, publié en 2012. Évoquant la mort d'un sans-abri abattu par un policier au métro Bonaventure, le 6 janvier 2012, le SPVM écrivait que «cet événement [rappelle] de nouveau l'urgence de poursuivre les efforts déployés au cours des dernières années et d'agir en collaboration avec les partenaires».

Accusé en 2009 par la Commission des droits de la personne de se livrer à du profilage social, comme en témoignent les milliers de contraventions dont écopent chaque année les sans-abri, le SPVM dispose aussi depuis 2012 d'une politique en matière de profilage racial et social en vertu de laquelle «des formations adaptées ont été offertes à des policiers de postes de quartier aux caractéristiques sociodémographiques particulières», peut-on lire.

Manque de formation

En ce début de 2014, le fait demeure, aux yeux de Mme Bellot, «que les quelques heures de formation» données aux quelque 4000 policiers sur le terrain ne suffisent pas.

Beaucoup trop souvent, dénonce-t-elle, «les itinérants continuent d'être traités comme des citoyens de seconde zone».

Pierre Gaudreau, du RAPSIM, conçoit très bien que tous les policiers ne puissent pas être spécialisés dans les interventions auprès des sans-abri. Ce à quoi il s'attend, cependant, c'est que les policiers agissent avec respect et qu'ils aient le réflexe d'appeler les ressources en place - travailleurs de rue, refuges, hôpitaux, etc.

Il dit aussi espérer que lumière soit faite sur ce qui est véritablement arrivé au métro Jean-Talon. «Porter plainte en déontologie, c'est très difficile pour monsieur et madame Tout-le-Monde. Imaginez ce que c'est pour une personne en situation d'itinérance. Or, ce genre de paroles ne doit pas rester sans conséquence.»

Pour Mme Bellot, il serait cependant regrettable que le SPVM se contente de montrer du doigt cet agent et le désigne comme une rare «pomme pourrie», sans se poser d'autres questions, notamment sur les protocoles à suivre dans ce genre d'interventions.

Selon son rapport annuel 2012, le SPVM reçoit plus de 10 000 appels par année concernant des personnes en situation d'itinérance.

En janvier devrait être publiée la politique québécoise en matière d'itinérance, qui sera annoncée par Véronique Hivon, ministre déléguée aux Services sociaux.

Les derniers chiffres sur le nombre de sans-abri au Québec datent de 1998. Le ministère de la Santé planche sur des données plus fraîches, qui sont attendues au courant de l'année.

- Par Louise Leduc

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Les ressources fournissant des refuges temporaires ou des services de prévention par le travail de rue craignaient de devoir sabrer dans leurs budgets, voire de devoir carrément fermer.