Des dizaines de femmes itinérantes ont été forcées de passer la nuit dehors dans les derniers mois parce qu'elles ont été refoulées aux portes de maisons d'hébergement pleines à craquer. Le problème est devenu si grave à Montréal qu'un centre a dû refuser 30 femmes en deux jours cette semaine, tandis qu'un autre en est rendu à installer des matelas de fortune par terre dans les couloirs et les salles communes.

«Et on n'est pas encore en hiver», prévient Anne-Gaël Whiteman, intervenante à La rue des femmes.

L'organisme a tout tenté pour trouver un lit à toutes celles qui frappent à sa porte. En vain. Depuis quelque temps, la salle d'activité du centre d'hébergement, rue Jeanne-Mance à Montréal, se transforme en dortoir de fortune dès la nuit tombée. Même chose pour la salle de déjeuner, où on installe des matelas de plastique à même le sol avec quelques couvertures pour accueillir plus de pensionnaires. Trois autres dorment par terre dans le couloir qui relie les chambres aux bureaux administratifs. Malgré cela, plusieurs femmes n'ont pas de place.

«Chaque année, on refuse plus de monde», déplore Suzanne Bourret, coordonnatrice à l'organisme. Le week-end dernier, le taux d'occupation a atteint 400%. «C'est nouveau, qu'on monte aussi haut», s'inquiète Mme Bourret.

Même son de cloche au Chaînon qui, malgré 12 lits d'urgence, a refusé 94 demandes d'hébergement en septembre et une centaine en août. L'Auberge Madeleine, qui compte 19 places, a rejeté 30 appels en deux jours cette semaine.

Bien qu'il n'existe aucun chiffre récent sur le phénomène de l'itinérance féminine dans la métropole, il y a de plus en plus de femmes à la rue, affirment les intervenants du milieu. La hausse constante des demandes d'hébergement en est la preuve. Autre indice: 103 femmes jamais vues auparavant se sont adressées à La rue des femmes cette année. Elles sont mal en point, de plus en plus âgées, et souvent immigrantes.

Plusieurs dangers

Pour ces femmes, les risques liés au fait de passer la nuit dehors sont énormes. «Elles sont obligées de se cacher ou de marcher toute la nuit. Si elles s'arrêtent, elles deviennent des proies», raconte Anne-Gaël Whiteman. Une femme lui a raconté s'être réveillée en sursaut dans un parc parce qu'un homme urinait sur elle, un soir où elle n'avait pas trouvé de place dans un refuge. Une autre a dû coucher avec trois hommes en échange d'un lit.

«On n'a jamais eu autant de femmes qui se font battre dans la rue. C'est de plus en plus violent.»

Cette violence, Nancy, ou Grenouille comme on l'appelle dans la rue, la vit au quotidien. Elle a 40 ans. Elle est sans-abri depuis maintenant six ans. Depuis qu'on lui a retiré la garde de sa quatrième et dernière fille. Ses autres enfants avaient été adoptés depuis longtemps. «C'est rendu rough dehors», dit-elle, assise à une table de la salle à déjeuner de La rue des femmes. Elle y passe environ quatre nuits sur sept. Lorsqu'elle n'a pas de place ou qu'elle décide de ne pas y aller, elle ne dort tout simplement pas.

«Je prends de la drogue pour rester éveillée ou je me prostitue et je passe la nuit chez un client en qui j'ai vraiment confiance. Je ne suis pas capable de dormir dehors. J'ai encore un orgueil.»

Elle est formelle. Une femme ne peut dormir seule dans un parc sans se faire invectiver.

Mais avec 6000 itinérantes dans la métropole, selon des chiffres qui datent toutefois de plus de 10 ans, et seulement 500 places en refuge, elles sont nombreuses à coucher dehors.

La rue des femmes annoncera mardi la construction d'un nouvel hébergement d'urgence. On ne s'attend toutefois pas à ce que les 10 nouvelles places d'abord disponibles soient suffisantes pour stopper l'hémorragie. «Une fois que le mot sera passé dans la rue, on va recevoir plus de demandes», soupire le responsable des communications, Manuel Harauchamps.

L'itinérance au féminin

23 à 40% des itinérants seraient des femmes à Montréal, selon un récent portrait dressé par le Y des femmes.

49 raccompagnements en ambulance pour des femmes sans-abri ont été demandés par La rue des femmes en 2012-2013.

50% des femmes hébergées d'urgence par le Y des femmes provenaient des diverses communautés ethnoculturelles, selon le rapport annuel de l'organisme.

76% des femmes hébergées d'urgence par le Y des femmes présentaient des problèmes de santé mentale ou physique.