Le gouvernement fédéral devrait débourser «entre 400 et 500 millions» au cours des cinq prochaines années afin d'assurer la sécurité des usagers du pont Champlain, «en raison du taux accéléré de détérioration attendu du pont jusqu'à son remplacement», prévu en 2021.

Dans un rapport d'experts déposé la semaine dernière à la société des Ponts Jacques-Cartier et Champlain Inc. (PJCCI), qui gère les ponts fédéraux de Montréal, des spécialistes recommandent des interventions «immédiates» sur 6 des 100 poutres de béton principales qui bordent la structure, entre la Rive-Sud et l'île des Soeurs.

À très court terme, PJCCI prévoit installer des panneaux de fibre de carbone sur ces six poutres «critiques» afin de renforcer leur capacité à résister à des efforts en flexion, et pour prévenir la propagation de fissures en cisaillement dans ces structures de béton, des deux côtés du pont.

Le rapport recommande toutefois, à moyen terme, que les 100 poutres principales fassent toutes l'objet du même traitement, dans le cadre d'un programme de réfection de cinq ans, dont les coûts sont estimés, par la firme Buckland-Taylor, à 498 millions.

Les conclusions du rapport, a révélé hier le ministre fédéral Denis Lebel, ont incité Ottawa «à avancer la date de livraison d'un nouveau pont», actuellement prévue pour 2021.

«On nous recommande d'envisager l'accélération des travaux de construction de la nouvelle structure, et nous allons travailler fort à revoir cet échéancier», a dit M. Lebel, en marge du début des travaux de construction d'un pont temporaire entre l'île des Soeurs et Montréal.

Le ministre Lebel n'a pu donner d'indication quant au nombre de mois ou d'années qui pourraient être retranchés à l'échéancier actuel, qui ne prévoit pas le début des travaux de construction avant 2017. M. Lebel a reconnu que le coût de ces travaux représente «des montants importants» qui n'étaient pas prévus aux budgets actuels de la société PJCCI.

Intervenir sans délai

Selon le rapport, «il a été vérifié que le niveau de sécurité actuel est acceptable pour maintenir la circulation sur le pont» malgré l'état jugé «critique» de six des poutres de rive qui causent le plus de soucis aux ingénieurs de PJCCI.

Rongées par les sels de déglaçage en l'absence de tout système de drainage des voies de circulation, ces poutres en béton armé se détériorent depuis de nombreuses années. Plus récemment, la découverte de câbles d'acier sectionnés, dans la structure, s'est ajoutée à une longue liste d'incertitudes concernant l'état réel de ce pont. Ces câbles d'acier, qui assurent l'intégrité transversale de l'ouvrage, ne peuvent être inspectés qu'en ouvrant une «fenêtre» dans les structures de béton.

Environ une vingtaine de ces «fenêtres» seront pratiquées dans la structure de béton dans le cadre d'un programme de suivi proposé par le rapport qui s'étalera sur cinq ans. Il prévoit le recouvrement des 100 poutres de rive du pont à l'aide de panneaux de fibre de carbone, l'installation d'arbalètes, qui exercent une tension à la hausse sur les poutres, et, ultimement, l'installation de «poutres à treillis modulaires» pour soutenir les poutres actuelles, et reprendre les efforts de charge. Une quinzaine de poutres pourrait être ciblée par cette dernière intervention

Pas de garanties

La première étape, soit le recouvrement de fibre de carbone, est estimée à elle seule à 60 millions. L'ensemble du programme exige des investissements totaux de 500 millions, dont 385 millions en nouveaux crédits fédéraux.

Malgré l'importance des investissements nécessaires pour maintenir en vie un pont destiné à être démoli de toute façon dans huit ans, les experts de PJCCI ne peuvent garantir que le pont restera fonctionnel jusqu'à la fin des travaux de construction du nouveau pont.

«Même avec les interventions recommandées sur les cinq prochaines années, selon Buckland-Taylor, les probabilités de devoir fermer temporairement ou définitivement des voies de circulation augmenteront, le plus longtemps le pont sera maintenu en opération.»

Le rapport indique, par ailleurs, qu'en cas de rupture subite, les usagers du pont ne risquent pas de se retrouver dans les eaux glacées du Saint-Laurent.

«Notre examen du système structural a révélé que si une poutre de rive se rompait en raison du cisaillement, le reste de la travée ne s'effondrerait probablement pas grâce aux câbles transversaux adhérents dans la dalle du tablier et qui assurent l'intégrité structurale partielle des autres poutres.»

«Cependant, ajoute le rapport, il est important de noter que la conception d'origine rend la structure plus vulnérable qu'habituellement souhaité.»

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Ce qu'ils ont dit

> David McGuinty, député du Parti libéral du Canada

«Les conservateurs n'ont pas fait leurs devoirs. C'est comme s'ils sautent d'une crise, d'une demande à l'autre, sans avoir préparé le dossier comme il faut. Ça fait six ou sept ans que ça traîne.»

> André Bellavance, député du Bloc québécois

«Ce que ça démontre, c'est que ça va prendre des inspections et des contrôles plus serrés à partir de ce moment. C'est la sécurité des usagers qui est en cause.»

> Hoang Mai, député du Nouveau Parti démocratique

«Ce qu'on ne sait toujours pas, c'est ce qui concerne la conception, l'architecture du nouveau pont. Malheureusement, le gouvernement ne nous donne pas plus d'information et on a peur qu'il y ait du retard.»

> Marc Cadieux, président de l'Association du camionnage du Québec

«Ce pont-là est au carrefour des routes pour les États-Unis, l'Ontario, et de tout l'est du Québec. On ne peut pas se passer d'un lien aussi stratégique. On ne pourrait pas se permettre de perdre le pont en tout ou en partie, sans qu'il y ait de sérieuses conséquences sur l'économie de tout le Québec.»