Après le dinosaure, la machine à écrire et le téléphone public, voilà qu'une autre espèce est en voie de disparition: le banc de trottoir dans Ville-Marie, particulièrement du côté est, dans sa partie plus pauvre, moins jet-set, moins festivalière.

«Est-ce là une façon de nettoyer la ville de ses irritants visuels, à savoir la pauvreté?»

Michel Bédard pose la question. Ce nom vous dit peut-être quelque chose. À répétition, il se présente aux élections municipales mont-réalaises, sous la bannière du Parti Éléphant Blanc, Parti Montréal 2000 ou Fierté Montréal.

Il y sera cette année encore avec, entre autres priorités, celle-ci: la défense du droit de s'asseoir.

Achetez ou circulez

«Pour s'asseoir, il faut désormais se rendre dans un parc, une place publique ou une entrée de station de métro. On peut toujours aller dans les bars, les restos ou les cafés-terrasses qui envahissent les voies publiques, mais si on ne consomme pas, on n'est pas le bienvenu...

«Sur les rues essentiellement commerciales, c'est: achetez ou circulez, poursuit-il. La Ville voit-elle le Montréalais comme un simple consommateur?»

Pour M. Bédard, l'élimination des bancs de trottoir dans son quartier constitue «une forme de maltraitance des aînés» et «un nettoyage voilé et hypocrite de l'espace public».

«On force ainsi les plus pauvres d'entre les pauvres à errer de façon quasi permanente.»

S'il ne manque pas de bancs dans le Plateau ou dans Villeray, par exemple, le problème est tellement réel dans Sainte-Marie que des gens s'en sont «patenté» un de toutes pièces, à côté d'un arrêt d'autobus, relève M. Bédard en nous pointant un banc de fortune à l'angle d'Ontario et de Parthenais.

À la Ville, Anik de Repentigny, chargée de communication dans l'arrondissement Ville-Marie, assure qu'il n'y a aucune volonté de faire disparaître le banc de trottoir du paysage. Au contraire, dit-elle, «une démarche de géoréférencement du mobilier urbain de Ville-Marie sera bientôt lancée. Celle-ci permettra non seulement de mieux en planifier l'entretien et la réparation, mais aussi de déterminer les meilleurs endroits où il conviendrait d'en ajouter».

Dans quel quartier? À cela, on n'avait pas la réponse.

Un sentiment partagé

Michel Bédard est en tout cas loin d'être le seul à avoir observé que le banc de trottoir avait été mis au rancart dans certains coins de l'arrondissement de Ville-Marie.

Normand Dufour, un résidant du quartier Sainte-Marie qui avait trop chaud pour rester chez lui, était sorti hier matin pour prendre l'air.

«Voyez où je suis assis! Sur le pas d'une porte qui n'est pas la mienne! J'ai eu un accident de voiture, j'ai très mal au dos depuis ce temps-là et un petit banc, ce serait bien.»

Aux arrêts d'autobus du quartier, quand on jette un coup d'oeil à la ronde... pas de banc non plus.

«S'il y en avait, je ne serais pas là, à attendre l'autobus les fesses appuyées sur une poubelle», peste Richard Casavant, qui a 64 ans et qui fait de l'asthme.

«Habituellement, poursuit-il, on enlève les bancs des trottoirs l'hiver, mais on nous les remet l'été. Mais là, on est en juillet et ils ne sont pas revenus.»

«Je n'ai pas d'auto, je marche et je prends l'autobus et je l'ai bien remarqué qu'ils avaient fait disparaître nos bancs de trottoir, dit pour sa part Michel Racicot, lui aussi du quartier Sainte-Marie. J'ai un problème de hanche. Soit on m'opère sous peu, soit on me donne de la cortisone. Ça ferait du bien de pouvoir m'asseoir parce que laissez-moi vous dire que rue Ontario, l'autobus, il n'arrive pas vite.»