La Ville de Montréal paye son asphalte moins cher depuis la création de l'escouade Marteau alors que le prix du bitume a pourtant presque doublé depuis six ans au Canada.

Un témoin a affirmé cette semaine devant la commission Charbonneau qu'un cartel de l'asphalte s'était mis en place dans la région de Montréal en 2000. Gilles Théberge dit que son ancien employeur, Sintra, a participé à la mise en place d'un système pour fixer le prix du bitume.

Ce système aurait permis de multiplier par cinq la marge de profit des entreprises. Le témoin a expliqué que le prix de la tonne de bitume avait été fixé en 2000 à environ 40$ pour le secteur privé, mais à 50$ pour la Ville de Montréal, soit 25% de plus.

Baisse de 27% en 2010

Les documents d'appels d'offres de la métropole consultés par La Presse démontrent que les producteurs d'asphalte ont radicalement baissé leurs prix en 2010. Cette date coïncide avec la création de l'escouade Marteau, à la fin de 2009, chargée d'enquêter sur les stratagèmes de collusion et de corruption. Plusieurs témoins ont d'ailleurs affirmé devant la commission Charbonneau que la mise sur pied de ce groupe d'enquête avait mené à la fin des divers stratagèmes de collusion en place dans la région de Montréal.

Ainsi en 2010, le prix payé par la Ville de Montréal pour chaque tonne de bitume a soudainement chuté de 27%. Pourtant, Statistique Canada rapporte que le coût de l'asphalte avait augmenté du tiers durant cette année. Les mêmes données indiquent que les prix ont augmenté de façon régulière partout au pays... sauf dans la métropole québécoise où ils ont diminué.

Ainsi, la Ville de Montréal paye aujourd'hui 63$ en moyenne pour chaque tonne de bitume. Ce chiffre représente une forte baisse depuis le sommet atteint en 2009 à 86$.

Plus d'écarts de prix

Les appels d'offres de Montréal permettent également de constater un autre changement important survenu en 2010: des écarts de prix beaucoup plus importants entre les différents producteurs d'asphalte. Les données des années 2008 et 2009 démontrent que les producteurs d'asphalte offraient des prix très similaires à la Ville de Montréal. L'écart entre leurs prix pour la dizaine d'enrobés bitumineux différents que la métropole achète variait de 1% à 8%.

Voilà, depuis 2010, les écarts de prix sont soudainement passés de 20% à plus de 80%.

Si elle devait s'avérer, l'existence d'un cartel de l'asphalte pourrait avoir coûté plusieurs millions aux Montréalais. La Ville dit acheter 63 000 tonnes de bitume chaque année pour les travaux exécutés par ses cols bleus. Impossible d'évaluer la quantité utilisée pour les chantiers confiés aux entrepreneurs en construction. «Pour ce qui est des projets de la Ville réalisés par des entreprises privées, ils ont la responsabilité d'acheter et de fournir eux-mêmes le bitume nécessaire pour réaliser les travaux», a expliqué un porte-parole municipal, Gonzalo Nunez.

«En ce qui concerne les déclarations du témoin Gilles Théberge, on ne peut pas confirmer à ce moment-ci que la Ville a acheté du bitume à un prix artificiellement gonflé, car nous devrions préalablement analyser et comparer tous les contrats d'achats de bitume depuis l'année 2000 pour établir ce qui était le juste prix par rapport aux prix payés ou «gonflés» à cette époque», poursuit M. Nunez.

Commission Charbonneau

Le renouvellement du contrat des producteurs d'asphalte pour 2013 a récemment provoqué une controverse à l'hôtel de ville, plusieurs d'entre eux ayant été nommés devant la commission Charbonneau depuis l'automne dernier. La Ville de Montréal avait mené un sondage en ligne pour demander aux Montréalais s'ils acceptaient d'acheter du bitume à ces entreprises malgré tout. Même si les citoyens s'étaient opposés, l'administration municipale a finalement choisi d'octroyer tout de même le contrat, disant ne pas vouloir interrompre le colmatage des nids-de-poule.

En vertu du nouveau contrat d'approvisionnement en bitume, les principaux fournisseurs d'asphalte de Montréal sont Louisbourg, DJL, Pavages Chenail et Bauval. Les quatre ont fait partie du groupe qui s'est partagé le territoire de Montréal en 2000, selon le témoignage de Gilles Théberge.