La collusion pourrait avoir coûté aux Montréalais de 350 à 500 millions, selon une évaluation de La Presse. Deux économistes de HEC Montréal estiment que cette évaluation est «raisonnable» selon les nombreux témoignages entendus à la commission Charbonneau sur le gonflement des prix.

Depuis octobre, des dizaines de témoins ont confirmé l'existence d'un système de partage des contrats de construction à la Ville de Montréal, principalement de 2004 à 2009. Durant cette période, la métropole a distribué pour 1,7 milliard en projets aux entreprises pointées du doigt devant la commission Charbonneau, principalement pour la réfection des rues, aqueducs et égouts. Ce total a été établi à partir des données du vérificateur général de la Ville de Montréal et de la liste des contrats attribués par la Ville.

Or, plusieurs témoins entendus par la Commission ont affirmé que la collusion avait permis de gonfler les prix de ces contrats de 20% à 30%. Cette évaluation permet d'estimer qu'un minimum de 350 millions a été payé en trop pour ces chantiers. La facture pourrait même atteindre le demi-milliard.

«Pour l'instant, on ne peut pas faire beaucoup mieux pour évaluer les coûts de la collusion. Comme économistes, on a des techniques pour calculer la surcharge, mais c'est très long, ça implique des calculs assez poussés», dit Robert Clark, professeur agrégé à HEC Montréal. L'universitaire, qui se spécialise en concurrence et en réglementation, affirme qu'il faudra plusieurs années avant que les coûts précis de la collusion soient connus.

Il souligne que l'exercice risque d'être très difficile, puisqu'il demande de comparer le prix des chantiers pendant une période exempte de collusion. Or, des témoins ont affirmé que le partage pourrait avoir pris racine dès les années 80.

Il reste que le professeur Clark juge qu'une surcharge de 20% à 30% entraînée par la collusion lui semble «raisonnable». «Après tout, c'est ce que tout le monde qui était impliqué a dit devant la Commission. Ils n'ont pas beaucoup intérêt à dire que c'était plus...»

Même son de cloche du côté de Robert Gagné, professeur d'économie à HEC Montréal. «En lisant ça, je ne tombe pas de ma chaise.» Tout en demeurant prudent, il estime qu'«un gonflement de 20%, ça représente probablement une borne inférieure».

Le professeur Gagné estime qu'il sera important que Montréal calcule les coûts de la collusion si elle souhaite récupérer ces sommes. «C'est une chose de dire qu'on va poursuivre ceux qui nous ont floués, mais bonne chance pour en faire la preuve. Mettre un prix précis est excessivement difficile.»

Des chiffres qui concordent

Plusieurs témoignages de la Commission ont évoqué un gonflement de 20% à 30%. «Le fait que les prix étaient augmentés de 30%, tout le monde le savait», a déclaré en octobre dernier le fonctionnaire à la retraite Gilles Surprenant. L'homme a reconnu avoir été corrompu pour gonfler les estimations du coût des projets de Montréal. L'entrepreneur en construction Piero Di Iorio a lui aussi affirmé que «les prix sont gonflés de 30% à 35%».

L'augmentation du coût des contrats touchait aussi les mandats confiés aux firmes de génie, selon la demi-douzaine de témoignages d'ingénieurs entendus depuis janvier. Ceux-ci ont reconnu que les prix avaient chuté de 20% à 30% depuis la fin du partage des contrats, conséquence directe de la création de l'escouade Marteau pour lutter contre la collusion et la corruption.

Chute soudaine des coûts

L'évaluation des témoins de la Commission est également appuyée par la chute généralisée du coût des chantiers à Montréal depuis 2010. Tout juste avant le début des révélations de l'enquête publique sur le partage des contrats dans la région, La Presse a révélé que la Ville avait constaté une baisse de 20% à 33% du coût de ses contrats de construction.

«Nous constatons que la tendance à la baisse des prix se poursuit, alors qu'il avait été prévu une légère augmentation», écrivaient des fonctionnaires municipaux aux élus, en août dernier.

Plusieurs études menées par Montréal de 2004 à 2009, mais gardées secrètes à l'époque, avaient également constaté un gonflement des prix. Celles-ci ont été déposées à la commission Charbonneau cet hiver.

L'exemple du contrat pour refaire la Place du Canada est éloquent. La Ville avait prévu de payer 18 millions pour ce travail: la plus basse soumission à l'appel d'offres a finalement été de 11,9 millions. «Cet écart total de -33% est conforme aux observations des prix soumis depuis janvier 2012 et illustre une baisse de 20 à 33% par rapport aux prix courants, tels que répertoriés durant les années précédentes et sur lesquels est basée l'estimation», avaient expliqué les fonctionnaires de Montréal.

Le contrat de la Place du Canada a finalement été annulé en raison du «malaise» de la Commission sur l'examen des contrats à attribuer ce mandat à Terramex, entreprise qui s'était reconnue coupable de fraudes fiscales. En novembre, l'un de ses dirigeants, Michel Leclerc, a également admis devant la commission Charbonneau sa participation au partage des contrats de construction.