Un géant international de l'immobilier qui souhaitait investir des millions dans le Vieux-Montréal prétend avoir été floué et menace maintenant de poursuivre la Ville. Il soutient que l'ex-maire Gérald Tremblay, des élus et des fonctionnaires ont tout fait pour l'écarter au profit d'un concurrent.

L'entreprise Constructa immobilier, présente en France et aux États-Unis, se déchaîne littéralement contre l'administration montréalaise dans une mise en demeure datée du 14 décembre, que La Presse a obtenue.

Engagée dans des projets d'une valeur de 1 milliard de dollars à l'étranger, l'entreprise dit avoir été plongée dans un feuilleton rocambolesque lorsqu'elle a voulu acheter de la Ville de Montréal un terrain près du boulevard Saint-Laurent, entre les rues Notre-Dame et Saint-Jacques.

Ce terrain, l'un des rares encore vacants dans ce secteur, est utilisé comme stationnement à ciel ouvert. La Ville veut le vendre depuis longtemps à un promoteur immobilier: elle prévoit qu'il rapportera jusqu'à 1 million de dollars par année en taxes lorsqu'une construction y sera érigée.

Constructa s'est montrée intéressée. Mais selon ses avocats, elle s'est frottée à «l'immixtion des fonctionnaires [...] pour favoriser des intérêts privés» et au «détournement des charges administratives vers le cabinet du maire, sans souci des dommages».

Problèmes de voisinage?

L'affaire remonte à 2005. Constructa avait alors terminé deuxième soumissionnaire dans l'appel de propositions pour le fameux terrain. Mais comme l'entreprise qui avait terminé première a finalement été disqualifiée, la Ville a entrepris des négociations avec Constructa. Les démarches ont traîné pendant des années.

En 2009, pour faciliter les choses, Constructa a accepté de racheter les plans architecturaux du concurrent disqualifié, car ceux-ci avaient déjà été approuvés par le service d'urbanisme.

Alors qu'elle s'attendait à tout régler facilement, l'entreprise a eu la surprise de voir la Ville lui imposer une nouvelle condition sortie de nulle part: son immeuble devait fournir 50 places de stationnement souterrain à l'hôtel Place d'Armes, situé juste en face, rue Saint-Jacques. L'hôtel appartient à la famille Antonopoulos, propriétaire d'une dizaine d'hôtels et de restaurants dans le Vieux-Montréal.

Le Groupe Antonopoulos s'intéressait lui-même au terrain. La Ville lui a indiqué qu'il pourrait faire une offre seulement si les négociations avec Constructa échouaient.

Son voeu s'est concrétisé le 13 juillet 2010. Alors que les négociations entre les fonctionnaires et Constructa étaient toujours en cours, le maire Gérald Tremblay a ordonné de tout arrêter.

Dans un courriel que La Presse a obtenu, Diane Lemieux, alors directrice du cabinet du maire, écrit aux fonctionnaires: «Le maire a examiné les divers scénarios dont il a bien pris la mesure des pour et des contre. Il retient de mettre fin au processus d'appel d'offres.»

Mme Lemieux demande ensuite aux cadres municipaux s'il est bien nécessaire d'obtenir une décision du comité exécutif pour officialiser la décision, ce qui sera fait peu après.

Le terrain a ensuite été laissé à l'abandon. Ce n'est qu'en mars dernier qu'un nouvel appel de propositions a été lancé. Entre-temps, le Groupe Antonopoulos s'est adjoint les services du même architecte que Constructa à l'époque et a acheté du bras immobilier de la Ville, la Société d'habitation et de développement de Montréal, un édifice adjacent au terrain convoité.

Le 7 novembre dernier, deux jours après la démission de Gérald Tremblay, le comité exécutif a donné le feu vert à la proposition du Groupe Antonopoulos et de son partenaire, DevMcGill.

La vente devra toutefois être approuvée par le conseil municipal avant d'être conclue. Le projet a une valeur estimée de 55 millions: 131 appartements de grandeurs diverses, des commerces et un grand stationnement souterrain.

« Du laxisme »

Furieux, les dirigeants de Constructa soutiennent qu'ils ont été injustement écartés au profit des promoteurs locaux, ce qui a retardé le projet, et donc la collecte de millions en taxes foncières par la Ville.

«Toute cette saga démontre le laxisme et l'incurie des membres du comité exécutif qui abandonnèrent les responsabilités liées à leur charge d'administrateurs municipaux au profit d'impératifs étrangers», écrivent ses avocats.

Dans sa mise en demeure, l'entreprise somme donc Montréal de lui vendre le terrain dans les 10 jours, sans quoi «les démarches et procédures appropriées seront entreprises».

Mais la Ville se défend. Son porte-parole, Gonzalo Nunez, confirme que c'est Gérald Tremblay personnellement qui a dit aux fonctionnaires de laisser tomber Constructa. Mais il souligne que le fait de recommencer le processus en 2012 a permis de vendre le terrain 5,4 millions, soit 1,8 million de plus que ce qui avait été convenu avec la multinationale. «Également, il est faux de prétendre que les mêmes plans ont été utilisés. C'est un nouveau projet», dit-il.

Un projet qui a été jugé le meilleur de tous dans le cadre d'un processus rigoureux, renchérit Maria Antonopoulos, porte-parole des gagnants.  « Nos partenaires et nous avons maintes fois prouvé par le passé le sérieux et l'intégrité de nos investissements immobiliers et commerciaux à Montréal ou ailleurs. En aucun temps, le Groupe Antonopoulos n'est intervenu afin d'influencer le choix fait par la Ville de Montréal dans le cadre de ce processus », insiste-t-elle.