Enguirlandés par des citoyens, cibles de commentaires désobligeants et de blagues aigres sur la corruption, les employés de la Ville de Montréal ont le moral plutôt bas depuis un mois.

Alors que se multiplient les révélations devant la commission Charbonneau sur des centaines de milliers de dollars versés en pots-de-vin à des fonctionnaires, «ce sont ceux qui ont affaire au public qui doivent défendre la Ville», déplore Alain Fugère, président du syndicat des fonctionnaires municipaux de Montréal, qui regroupe quelque 10 000 cols blancs.

«Il y a beaucoup de sarcasmes, de jokes plates, surtout quand les gens viennent payer une facture ou une amende, dit le président. C'est sensiblement partout pareil: tout le monde trouve ça aberrant, de voir les millions de dollars envolés alors que le commun des mortels travaille dur.»

Un surveillant de chantier a confié à La Presse qu'il a droit au même traitement. «On est surtout la cible de blagues sur les enveloppes brunes. Pour ma part, je n'ai pas encore reçu de commentaires désagréables.»

Si la situation est agaçante, elle n'est pas explosive: jusqu'à maintenant, les cols blancs n'ont pas fait état de menaces ou d'intimidation grave. «Je n'ai pas été avisé de situations corsées où il a fallu appeler la police», dit M. Fugère. Mais il l'avoue d'emblée, le moral des troupes n'est pas à son mieux, et il sent lui aussi le «vent de morosité» dont a parlé en entrevue à La Presse le directeur général de la Ville, Guy Hébert. «Quand vous croyez à ce que vous faites, que vous être d'un professionnalisme total et que vous voyez tout l'argent qui a été jeté par les fenêtres, vous vous dites: «Je suis géré par des gens comme ça?» Ce n'est pas agréable.»

La collusion et la corruption qui s'étalent actuellement au grand jour ont été rendues possibles par des décisions politiques douteuses, croit M. Fugère. «On élimine des fonctionnaires et des services, et on hausse les taxes. On s'en va vers un mur quand on agit comme ça.»

Comme Guy Hébert l'a fait plus tôt cette semaine, le président de syndicat rappelle que la corruption ne touche qu'une «infime minorité» des 29 000 employés de Montréal. Les représentants syndicaux et le directeur général ont d'ailleurs publié une lettre ouverte dans les quotidiens de la métropole, hier.

«Collectivement, nous subissons les contrecoups des gestes répréhensibles posés par quelques personnes, écrivent-ils. Tout comme vous, nous sommes citoyens et payeurs de taxes et à ce titre, nous voulons une gestion saine, honnête, intègre et efficace des fonds publics.»

Les cols bleus vus en héros

Étonnamment, du côté du syndicat des cols bleus, on fait le constat inverse: ses membres n'ont jamais été aussi populaires auprès des citoyens. «Les cols bleus se font féliciter, on leur dit: «Lâchez pas!», dit le président, Michel Parent. Ils se font dire que, dorénavant, on doit confier les travaux à l'interne plutôt qu'au privé.»

Lui aussi déplore le vent de privatisation qui a soufflé sur la Ville à partir des années 80. Il rappelle que, à la fin des années 70, Montréal comptait plus de 12 000 cols bleus, alors qu'ils ne sont aujourd'hui que 4250. «Et la Ville est aujourd'hui plus grande qu'à l'époque. Ce sont les deux tiers du travail des cols bleus qui ont été transférés.»

- Avec la collaboration de Fabrice de Pierrebourg