La prostitution pourrait bientôt être tolérée sur un petit tronçon de la rue Sainte-Catherine, dans l'arrondissement Mercier-Hochelaga-Maisonneuve. Le maire de l'arrondissement, Réal Ménard, dit vouloir mettre fin à la sollicitation agressive dans les rues de son secteur, mais l'administration Tremblay l'accuse de vouloir cacher les prostituées au lieu de leur venir en aide.

De 60 à 75 prostituées sillonnent les rues de Mercier-Hochelaga-Maisonneuve. Or, depuis 2010, les policiers s'attaquent à leurs clients pour tenter de faire chuter cette clientèle dans le secteur. Faute de clients, les prostituées se font de plus en plus insistantes auprès des résidants tandis que les résidantes continuent d'être harcelées.

«Le statu quo n'est plus acceptable», dit Réal Ménard. Pour prouver ses dires, il brandit un sondage mené à la fin d'avril par Léger Marketing auprès de 525 citoyens et 83 commerçants de l'arrondissement. Plus de la moitié des répondants se sont dits dérangés par la prostitution sévissant dans leur quartier, notamment en raison du harcèlement.

Pour apaiser la tension, le maire d'arrondissement souhaite éloigner les prostituées des secteurs résidentiels et commerciaux. À défaut de trouver une solution définitive à la prostitution, il demande aux policiers de fermer l'oeil sur la prostitution dans une zone bien définie. «Il s'agit d'une zone de tolérance où la prostitution n'est pas légalisée, parce que je n'en ai pas le pouvoir, mais où on concentre ces activités», expose-t-il.

Près des deux tiers (62%) des personnes sondées à ce sujet se sont d'ailleurs dits en faveur d'une zone de tolérance. Le maire d'arrondissement a d'abord proposé de «libéraliser» le stationnement d'un bâtiment de la voirie, mais les responsables n'ont pas donné suite à son invitation. Il s'est donc tourné vers cette petite portion de Sainte-Catherine, entre les rues Moreau et Alphonse-D.-Roy, au coeur d'un quartier industriel où les blocs de béton côtoient les bâtiments de tôle ondulée.

«Irresponsable et irréaliste»

Reste à voir si l'administration Tremblay, qui juge le projet «irresponsable et irréaliste», mettra des bâtons dans les roues au maire issu de l'opposition. «Je peux comprendre que les citoyens aient des problèmes de cohabitation, mais la question de la prostitution est complexe, tout comme l'itinérance, et ça prend des solutions complexes», dit Jocelyn-Ann Campbell, responsable du développement social et communautaire au comité exécutif.

Vision Montréal appuie son maire d'arrondissement, mais sans grand enthousiasme. «Personne n'est emballé quand il s'agit de prostitution. Mais quelqu'un peut-il nous indiquer une autre solution que la répression? C'est ce qui a été fait dans Ville-Marie pour le Quartier des spectacles et ça a simplement repoussé le problème dans Hochelaga et dans le Sud-Ouest», déplore la chef de l'opposition, Louise Harel.

Le Conseil du statut de la femme s'oppose lui aussi à un tel projet. «On trouve que ce n'est pas la solution. Au contraire, ça peut banaliser la prostitution, faire accepter davantage ce qui est une forme d'exploitation», dénonce sa présidente, Julie Miville-Dechêne. Dans un important avis publié en mai, son organisation a appuyé plutôt la tactique policière de s'en prendre aux clients. Elle demande toutefois qu'une solution de remplacement soit ensuite offerte aux prostituées pour sortir de la rue.

L'idée d'une zone de tolérance n'est pas nouvelle à Montréal, même si elle n'a jamais été mise en pratique. En 2000, l'administration de l'ancien maire Pierre Bourque avait lancé un projet de déjudiciarisation de la prostitution dans une importante partie du centre-ville et du Centre-Sud. L'idée avait été abandonnée en pleine consultation publique devant la colère soulevée chez les citoyens et les commerçants du secteur.

Réal Ménard dit comprendre - et avait anticipé - ces critiques, mais refuse de plier. «Dans un monde idéal, j'aimerais mieux que la prostitution n'existe pas et que les filles en sortent, mais je n'ai pas de baguette magique. Le problème dure depuis plus de 15 ans et je ne peux pas me laisser piéger par le statu quo.»