Un petit éditeur du quartier chinois de Montréal va devoir vivre avec l'étiquette d'«agent d'influence» à la solde du gouvernement communiste chinois.

Une description qui n'a rien de diffamatoire, a tranché la Cour d'appel du Québec au détriment de Crescent Chau, dans la cause peu ordinaire qui l'opposait à The Epoch Times, groupe de presse proche du Falun Gong, mouvement spirituel banni en Chine depuis 1999.

Crescent Chau dirige d'un petit immeuble miteux de la rue Clark une publication en chinois, La Presse chinoise.

En temps normal, ce journal est distribué à environ 4000 exemplaires dans le quartier chinois de Montréal et dans une moindre mesure à Ottawa. Or, en 2001, 2002 et 2007, Crescent Chau a inondé le Canada, de Vancouver à Montréal, avec un numéro spécial gratuit de 32 pages en couleurs, tiré à plus de 100 000 exemplaires et sans publicité, consacré au mouvement Falun Gong dont il est un «critique féroce». Il s'agissait plutôt d'un réquisitoire puisque le Falun Gong y était décrit comme «diabolique et accusait ses pratiquants de s'adonner à la bestialité, au vampirisme et divers comportements criminels», lit-on dans les documents de cour.

Outil de propagande

À la suite de cette publication, le groupe de presse The Epoch Times, établi à New York et dont une des éditions est accessible au Québec, avait publié plusieurs articles qui décrivaient Crescent Chau et son journal comme «des agents de la République populaire de Chine».

The Epoch Times s'était aussi appuyé sur les propos d'un ex-espion chinois, membre, semble-t-il, d'une unité spécialisée dans la répression contre le Falun Gong et qui avait fait défection en Australie. «Il est clair que La Presse chinoise coopère avec l'ambassade et le consulat de Chine, et que ce journal est devenu l'homme de main et l'outil de propagande pour le Parti communiste chinois», avait déclaré le groupe de presse.

Opinion légitime

Piqué au vif, Crescent Chau a poursuivi The Epoch Times pour diffamation.

En avril 2010, la juge Catherine Mandeville, de la Cour supérieure, l'a débouté. Elle a rappelé que la réputation «anti-Falun Gong et pro-gouvernement chinois» du plaignant et de son journal est «sans équivoque». Se faire traiter d'agent de Pékin n'était donc pas une «attaque injuste», mais plutôt «une opinion légitime».

Il a déjà affirmé, a-t-elle écrit, «avoir la responsabilité de maintenir une image positive de la mère patrie et la dignité de la nation chinoise», et avoir fait de l'éradication du Falun Gong une «croisade personnelle». Elle a aussi considéré comme «nébuleuses» ses explications sur l'origine du financement de ses publications anti-Falun Gong.

M. Chau n'a pas eu plus de succès auprès des trois juges de la Cour d'appel. Dans le jugement qu'ils ont rendu il y a quelques jours, ceux-ci réaffirment que d'être décrit comme des «agents faisant la promotion des idées d'un gouvernement ne peut être considéré comme diffamatoire».

Ils rappellent que le «débat relatif au Falun Gong est hautement politique, public et publicisé», en plus «d'être d'une grande âpreté pour ne pas dire virulence [...] au sein d'une certaine presse sino-canadienne».

«Bataille épique»

«Cela signifie que les tribunaux doivent considérer les propos dans leur contexte», résume Me Claude-Armand Sheppard, qui a défendu The Epoch Times dans ce qu'il qualifie de «bataille épique».

En juin 2010, le directeur du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) Richard Fadden avait causé l'émoi en affirmant, lors d'une entrevue à CBC, que plusieurs politiciens canadiens étaient aussi sous l'influence de la Chine.

La Presse s'est rendue au bureau de Crescent Chau pour obtenir ses réactions, mais celui-ci était introuvable et impossible à joindre, a affirmé une employée.