La multiplication des travaux routiers à Montréal donne des maux de tête à plusieurs commerçants, qui rapportent une baisse de 20% de leur clientèle depuis deux ans.

Les affaires tournent au ralenti sur l'avenue du Parc et dans le quartier Côte-des-Neiges, envahis par les cônes orange depuis 2010. Mais des arrondissements épargnés par les travaux routiers subissent aussi l'onde de choc créée par les chantiers ailleurs dans l'île, indiquent nos sources.

Les associations de gens d'affaires craignent que la congestion chronique dans les rues de Montréal, conjuguée aux chantiers sans précédent qui seront lancés en 2012, nuise au commerce dans l'ensemble de l'île.

«Une partie des gens qui avaient l'habitude d'aller [dépenser] à Montréal vont maintenant en banlieue», affirme Michel Leblanc, président de la chambre de commerce du Montréal métropolitain.

«On est en train de jouer l'avenir du commerce de détail dans les rues de Montréal», ajoute-t-il. La prolifération des cônes orange est une des préoccupations principales des 7000 membres de la chambre de commerce, selon lui.

Librairie en péril

Pour la librairie Olivieri, institution culturelle établie en 1985, la congestion routière est plus qu'une préoccupation, c'est une question de survie. Les travaux de voirie qui ont paralysé le chemin de la Côte-des-Neiges et les environs, du printemps 2010 à octobre dernier, ont porté un dur coup aux affaires.

«L'achalandage a baissé de 15% à 25% dès le début des travaux. Ces clients ne sont jamais revenus», dit Rina Olivieri, copropriétaire et fondatrice de la librairie.

«On était déjà en mode survie il y a deux ans. Les travaux ont eu l'effet d'un coup de massue», raconte-t-elle. La femme d'affaires dit craindre pour la survie de son commerce si les clients ne reviennent pas rapidement.

Comme toutes les librairies indépendantes, Olivieri affronte une rude concurrence des sites d'achat en ligne, comme Amazon. Rina Olivieri et son associé, Yvon Lachance, ont quand même fait de leur établissement un lieu incontournable de la culture à Montréal: ils organisent deux ou trois conférences par semaine avec des auteurs - dont des grosses pointures comme le Prix Nobel J. M. G. Le Clézio, Emmanuel Carrère ou Dany Laferrière - et offrent plus de 40 000 titres, dont certains très pointus en philosophie, en architecture et en histoire de l'art.

L'enfer sur quatre roues

La librairie Olivieri en arrache parce qu'une bonne partie de sa clientèle vient d'autres quartiers et même de l'extérieur de l'île, note Jérôme Bugel, président de l'Association des gens d'affaires de Côte-des-Neiges. «Les gens font maintenant leurs achats près de chez eux, ils hésitent à se déplacer en voiture à Montréal», dit-il.

Une pizzeria et une boutique de vêtements du quartier ont fermé leurs portes ces dernières semaines, selon lui. Plusieurs commerces se trouvent en équilibre précaire, à deux doigts de la fermeture. Certains ont fait des mises à pied et réduit les heures de travail de leurs employés.

«Si je devais repartir en affaires, j'irais sur la Rive-Sud!», dit sans détour Jérôme Bugel, propriétaire depuis une douzaine d'années du salon Jérôme B. Espace coiffure. Ses affaires vont bien, mais la congestion routière dans l'île, le manque de stationnement, et les taxes et les loyers élevés le font réfléchir: «J'ai payé 650 000$ de loyer à mon propriétaire depuis que je suis en affaires. Imaginez ce que j'aurais pu acheter sur la Rive-Sud avec cette somme.»

Les travaux routiers records - en nombre et en ampleur - qui seront entrepris en 2012 inquiètent les gens d'affaires de l'île, explique Claude Rainville, président de l'Association des sociétés de développement commercial de Montréal.

«Avec les travaux sur le pont Champlain, l'échangeur Turcot, le pont Mercier, le tunnel La Fontaine et ailleurs, Montréal va se retrouver isolé», dit-il.

L'administration Tremblay fait des efforts pour accommoder les commerçants, selon lui, mais le ministère des Transports n'en fait qu'à sa tête: «Fermer le tunnel La Fontaine le 22 décembre, à trois jours de Noël, ça a foutu un bordel épouvantable. Ça n'aidera certainement pas à attirer le monde à Montréal.»