Depuis 2005, la Ville de Montréal a dû verser 60,8 millions à des citoyens et quelques entreprises, victimes du piètre état de ses infrastructures et de négligences ou bavures de ses fonctionnaires.

Ils sont tombés sur un trottoir glacé ou crevassé, ont brisé leur roue dans un nid de poule, se sont fait assommer par un panneau de signalisation, ont eu leur sous-sol inondé, leur logement incendié à la suite de travaux d'excavation, leur voiture écrasée par un arbre, se sont fait arrêter et incarcérer sans raison, perquisitionnés par erreur, insultés par des policiers... La liste est longue.

Ils ont réclamé, au total, à la Ville de Montréal la somme de 256,5 millions depuis 2005, mais au final, l'administration Tremblay n'a déboursé que 60,8 millions, soit le quart, dans le cadre de règlements à l'amiable (hors cour).

Certains demandeurs très chanceux ont obtenu un montant proche de la somme qu'ils réclamaient pour les dommages subis, d'autres en revanche sont repartis bredouilles.

C'est ce que démontre l'analyse de la liste des centaines de causes qui se sont conclues par une entente à l'amiable fournie par le service des affaires juri-diques de la Ville de Montréal obtenue par La Presse grâce à la Loi sur l'accès à l'information.

Sans surprise, c'est l'état délabré de ses infrastructures qui génère le plus de réclamations et coûte le plus cher en règlements.

En tête de ce palmarès figurent les bris sur son réseau de 4200 km de conduites d'eau. Les sommes obtenues, presque 14 millions, sont proches des sommes réclamées par les plaignants. Ensuite, les refoulements d'égouts (4 millions), mais avec un bémol. Les règlements pour ce type de sinistre ne représentent qu'une infime partie des montants réclamés, parfois à peine 10%. Normal, explique-t-on à la Ville de Montréal dans un courriel adressé par son service des communications à La Presse: «Un fardeau de preuve élevé s'impose à la Ville lors des bris de conduite d'eau en raison de son statut juridique de gardienne de ses conduites. Alors que dans le cas des dossiers de refoulements d'égouts à la suite d'inondations dues à de fortes pluies, le fardeau de preuve de la Ville est différent, car plusieurs autres éléments entrent aussi en ligne de comptes, comme l'intensité de la précipitation et la protection ou non des appareils de plomberie du bâtiment (sinistré) par des clapets».

Les nids de poule ont entraîné quelques indemnités pour des dommages subis aux automobiles, en général inférieures à 500$. Des dossiers réglés «au cas par cas», précise la Ville.

Chutes coûteuses

Rien à voir avec les trottoirs glacés ou bien parsemés de trous ou encore ceux dont les dalles sont disjointes qui ont coûté jusqu'à 2,2 millions. De cette somme, un montant record de 306 528$ a été versé en 2008 à une citoyenne (dont 6500$ pour la RAMQ) qui a été victime d'une chute sur un trottoir de l'avenue Côte-des-Neiges en janvier 2004. À l'opposé, une autre citoyenne aura eu moins de chance. Elle réclamait 290 000$ pour une chute «attribuable à une crevasse dans le trottoir». Mais elle n'a reçu que 3500$.

Au volet des incendies, on remarque quelques litiges générés par des incendies mal maîtrisés par les pompiers qui ont causé un second sinistre. Mais c'est essentiellement un gigantesque incendie dans le quadrilatère Clark, Mont-Royal et Saint-Urbain, dans la nuit du 29 février au 1er mars 2000, qui aura entraîné cinq réclamations et le paiement hors cours de près de 3,5 millions d'indemnités en 2005 à divers résidants et propriétaires.

Les pompiers ont éprouvé des problèmes d'alimentation en eau. De plus, les gicleurs de l'édifice étaient inopérants. Pour la petite histoire, ce sinistre a pris naissance dans «l'aréna Mont-Royal», domicile du Canadien dans les années 20, et l'a totalement rasé.

Quelques ententes à l'amiable sont liées à des litiges contractuels. Un des plus gros dossiers concerne la construction du Centre communautaire intergénérationnel (CCI) d'Outremont. Dessau Soprin a présenté une facture de 2,8 millions en dépassements de coûts. La Ville a accepté de régler 812 700$ à la firme d'ingénieurs-conseils. Au final, ce projet aura coûté près de 12 millions au lieu des 6,6 prévus initialement. Ce dossier est toutefois toujours sous enquête par la SQ.

On remarque aussi le nom de Louise Harel poursuivie par BPR Infrastructures pour «atteinte à l'intégrité professionnelle et à la réputation par la publication de certains de ces propos dans La Presse et Le Devoir» concernant le scandale des compteurs d'eau. BPR réclamait 50 000$, mais le dossier a été fermé sans aucune compensation ou rétractation. Pour sa part, Louise Harel estime aujourd'hui «que les contribuables montréalais n'avaient pas à payer davantage pour cette poursuite», a-t-elle commenté à La Presse.

Bavures et émeutes

Enfin, les bavures policières ont aussi un coût pour les contribuables: près de 450 000$ dépensés pour des arrestations abusives ou non justifiées, brutalité, perquisitions et détentions non fondées ou injures raciales. On remarque que plusieurs de ces dossiers sont le résultat de cafouillages administratifs. Par exemple, un citoyen a été arrêté en «vertu d'un mandat qui devait être annulé, mais qui ne l'a pas été», lit-on. Il a obtenu les 2098$ qu'il réclamait. Sur une note plus dramatique, en 2007, Montréal a aussi versé 25 000$ à la RAMQ (qui en réclamait 190 000$) pour les frais hospitaliers encourus à la suite de l'hospitalisation de Richard Barnabé, ce chauffeur de taxi décédé en 1996 à la suite de son arrestation musclée. Il sera resté 28 mois dans le coma.

La liste obtenue par La Presse recèle aussi quelques curiosités comme ces litiges clos en 2007 et qui concernaient les émeutes de la Coupe Stanley en... 1993. Dix commerçants et leurs compagnies d'assurance ont réclamé en tout un million de dollars pour des dommages subis à leurs commerces du centre-ville, mais un seul dossier a été réglé à hauteur de 500 000$. Les neuf autres demandeurs n'ont rien obtenu.

La Ville de Montréal a refusé de nous accorder une entrevue dans le cadre de cet article. Elle plutôt choisi de fournir quelques réponses par courriel à La Presse: «Nous ne reconnaissons pas et ne discuterons pas de "tendances" parce que la Ville ne fait pas de règlements hors cour de groupe», justifie-t-elle. En revanche, elle insiste sur sa «préoccupation de saine gestion des fonds publics qui fait en sorte que le Service des affaires juridiques contrôle en tout temps les dépenses reliées à la judiciarisation des dossiers, que ce soit pour des réclamations ou des poursuites contre la Ville».

Mais tous ces montants font sursauter la chef de l'opposition officielle: «Ces sommes considérables versées par la Ville depuis 2005 prouvent la nécessité d'investir dans les infrastructures et les services de propreté et de déneigement, faute de quoi les Montréalais devront le payer en réclamation», estime Louise Harel.

- Avec William Leclerc.

Ententes à l'amiable du 1er janvier 2005 au 29 septembre 2011*

Fourrière: 5200$

Dommages automobiles- nids-de-poule: 9692$

Discrimination: 11 245$

Racisme: 18 000$

Perquisitions: 31 212$

Droits de la personne: 42 500$

Brutalité policière: 55 000$

Réclamation salariale: 62 000$

Droits de mutation: 97 200$

Dommages à l'automobile: 205 118$

Arrestations-Détention: 348 758$

Expropriation: 511 800$

Négligence: 520 000$

Dommages corporels: 842 400$

Utilités publiques (dommages subis par Gaz Métro, Hydro, etc.): 1,5 M$

Chutes: 2,2 M$

Contrats (réclamations): 3 M$

Dommages divers: 3,2 M$

Inondations (refoulement d'égouts): 3,9 M$

Dommages à la propriété: 4,4 M$

Entretien collecteur (égouts): 5,8 M$

Incendie et explosion: 7,8 M$

Dommages contractuels: 13 M$

Inondation (bris de conduite): 13,8 M$

*Compilation effectuée par La Presse