En 18 mois, la Ville de Montréal a versé au moins 200 000 $ à une poignée de firmes privées spécialisées dans l'investigation, la filature et la surveillance physique, avec lesquelles elle a l'habitude de passer des contrats «verbaux» pour mener des enquêtes sur des employés, quel que soit leur rang, a appris La Presse.

Cette pratique a connu une hausse très marquée au cours de l'été et de l'automne 2009, en pleine période électorale municipale.

Nous avons retrouvé la trace de plusieurs de ces firmes en épluchant une liste de milliers de bons de commande de la Ville auprès de ses fournisseurs depuis 2007, obtenus en vertu de la Loi sur l'accès à l'information. Il s'agit d'un portrait non exhaustif puisque les données communiquées par la Ville s'arrêtent à mars 2010.

Ces contrats ont été accordés par le Service du capital humain, le plus souvent par Yves Grimard, chef de la division des enquêtes et analyses. Celui-ci a succédé à Pierre Reid, contrôleur général de la Ville de juin 2010 jusqu'à hier. Quant au motif, il faut se contenter d'un laconique «gestion du personnel».

Milliers de dollars

Les firmes dont les noms reviennent le plus souvent sont Groupe Cantin Geoffrion Service Conseil (49 500$ entre octobre 2008 et juin 2009), Baron Lupien Rouleau Cabinet Conseil (17 300$ entre avril et décembre 2009), Les consultants Lupien Rouleau (28 167$ de juin 2009 à mars 2010), Baron Ricard (ou Investigations R.K. - 26 500$, d'août à octobre 2009), Sercopro (43 400$ entre mai et décembre 2009), Gestion Normax (47 800$ entre octobre 2008 et juin 2009). Il y a aussi Surveillance vidéo expert (matériel de surveillance, 3441$) et HDD Forensic, firme d'investigation informatique (10 300$, février 2009).

Les montants facturés par ces firmes par contrat peuvent atteindre les 10 000$. Il arrive qu'elles sous-traitent à leur tour certaines missions spécifiques, par exemple la filature.

Plusieurs de ces sociétés ont été fondées par d'ex-policiers, très souvent de la SQ.

«Urgence»

En 2007, John Broderick, déjà membre du service des enquêtes internes, avait révélé, devant la Commission d'accès à l'information, que son service menait entre 150 et 250 enquêtes par année en collaboration avec 5 à 8 firmes. Ces contrats étaient accordés sans appel d'offres au téléphone, donc sans trace écrite.

Pierre-Paul Lupien, de la firme Lupien Rouleau, confirme que la Ville de Montréal fait partie de ses «clients habituels». Les enquêtes confiées à cet ex-policier de la SQ visent des «employés de la Ville ou des cadres pour des histoires de fraude, de vol, de fausses déclarations de maladie», nous dit-il.

Nous avons à deux reprises sollicité une entrevue avec Yves Grimard sur le recours aux firmes privées et posé plusieurs questions. La Ville a refusé de donner suite à nos requêtes. «Nous n'avons pas de commentaires à formuler sur ce dossier», a écrit Gonzalo Nunez, de la direction des communications, dans un courriel.

Avec William Leclerc et Thomas de Lorimier