Claude Dauphin a fait l'objet d'une enquête interne en 2010, affirment deux sources impliquées dans les enquêtes, ainsi qu'un haut fonctionnaire de la Ville. Or, selon ses propres services juridiques, la Ville n'a pas le droit d'enquêter sur les élus.

L'enquête était dirigée par Pierre Reid, haut fonctionnaire qui a fait ouvrir les courriels du vérificateur général de la Ville, Jacques Bergeron, de mars 2010 à janvier 2011.

«Au cours de l'hiver 2010, M. Reid m'a clairement dit qu'il enquêtait sur Claude Dauphin et des contrats à Lachine», nous a dit un cadre de la Ville bien au fait des enquêtes, en nous demandant de taire son nom. «Il ne m'a pas dit s'il ouvrait ses courriels, mais à une autre occasion, il m'a confié que lorsqu'il amorçait une enquête, il les faisait ouvrir par ses enquêteurs.»

Une deuxième source nous a indiqué qu'un fonctionnaire travaillant pour Pierre Reid avait rencontré l'ancien directeur général de Lachine Pierre Bernardin, en janvier 2010. Ce fonctionnaire, Denis Savard, a demandé à M. Bernardin s'il avait subi une «influence politique» avant de proposer l'adoption d'un programme de subvention. Ce programme a profité à une entreprise qui avait acheté une vieille usine et un terrain contaminé à Lachine (voir autre article).

Pour M. Bernardin, «seul M. Dauphin était susceptible d'exercer une influence politique sur lui, en tant que maire de Lachine», nous a dit cette source. M. Bernardin a dit à M. Savard qu'il n'avait subi aucune influence.

Une troisième source confidentielle nous a indiqué qu'une firme externe à la Ville avait été mandatée pour enquêter sur Claude Dauphin et des contrats à Lachine. Cette source ne connaissait pas les détails de l'enquête. Le mandat a été confié à cette firme l'année dernière.

Une quatrième source affirme que Pierre Reid lui a dit qu'il enquêtait sur les élus. Cette confidence lui a été faite devant témoins il y a quelques mois. Enfin, des documents indiquent que Pierre Reid a donné les moyens et le mandat d'ouvrir les courriels des élus (voir autres articles). «Il a distribué les fusils et dit qui pouvait être visé, a indiqué une cinquième source, très au fait des pratiques dans le service informatique de la Ville. Les élus faisaient partie des cibles.»

Nous avons joint Claude Dauphin et lui avons dit que, selon nos sources, il a fait l'objet d'une enquête dirigée par Pierre Reid. M. Dauphin nous a dit qu'il n'était pas au courant. «Si c'est le cas, c'est inacceptable, nous a-t-il dit. Cela va à l'encontre de toutes les valeurs fondamentales de notre système démocratique.»

La Ville nie tout

L'administration Tremblay a refusé notre demande d'entrevue avec Pierre Reid, qui a conservé la responsabilité des enquêtes lorsqu'il a été nommé au nouveau poste de contrôleur général, en juin dernier.

«Voici nos commentaires sur l'affaire qui vous intéresse, nous a écrit le porte-parole Gonzalo Nunez dans un courriel, vendredi. Le contrôleur général effectue présentement une vérification administrative de certains dossiers de l'arrondissement de Lachine, et la directrice de l'arrondissement en a été informée par écrit en janvier dernier.

«Dans le cadre de cette vérification, il est important de noter que ni M. Dauphin ni aucun élu n'ont fait l'objet d'une enquête du contrôleur général, car les services municipaux ne font pas d'enquête sur les élus.

«De façon générale, s'il s'avère à la suite d'une vérification administrative qu'un élu quelconque est impliqué dans certaines allégations sérieuses et fondées, le dossier est alors transmis pour examen et enquête aux autorités gouvernementales compétentes ou aux autorités policières car ces enquêtes relèvent de ces autorités, conclut M. Nunez dans son courriel. On vous rappelle que ce n'est pas le rôle de la Ville d'enquêter sur les élus.»

Or, selon nos sources, cette enquête «administrative» sur l'arrondissement de Lachine n'a pas commencé cette année, mais tout de suite après les élections du 1er novembre 2009.

C'est seulement en juin dernier, quand il a été nommé contrôleur, que Pierre Reid a commencé à superviser le service de vérification. Auparavant, les vérifications administratives ne faisaient pas partie de sa mission. En revanche, en tant que directeur du Service du capital humain, il était responsable des enquêtes sur les personnes.

Denis Savard, qui travaillait pour lui au cours de l'hiver 2010 quand il a interrogé l'ancien directeur général de Lachine, n'avait pas lui non plus la responsabilité de mener des vérifications administratives. Ces dernières relevaient de la vérificatrice interne, Marie Mongeau. M. Savard n'a jamais travaillé sous la direction de Mme Mongeau.

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LE FIL DES ÉVÉNEMENTS (par Daphné Cameron)

14 février > La Presse révèle que le service des enquêtes internes de la Ville de Montréal a ouvert, lu et analysé les courriels du vérificateur général, Jacques Bergeron, durant 10 mois, de mars 2010 à janvier 2011.

17 février > Le maire de Montréal, Gérald Tremblay, convoque une conférence de presse où il admet que les méthodes qui ont été utilisées pour enquêter sur le vérificateur général sont «questionnables», mais que les résultats de l'enquête sont plus importants que la manière dont elle a été menée. Essentiellement, la Ville reproche au vérificateur d'avoir accordé deux contrats de traduction à sa belle-soeur et d'avoir scindé deux contrats pour éviter de recourir à des appels d'offres.

23 février > La Ville demande à Québec d'intervenir dans le dossier.

18 mars > Le maire Tremblay déclare que le contrôleur général de la Ville, Pierre Reid, n'a pas le droit d'enquêter sur les élus. À sa connaissance, cela n'a jamais été fait.

18 mars > Jacques Bergeron dépose un recours devant la Cour supérieure. Il demande au tribunal de déclarer «illégal» l'espionnage de ses courriels. Il somme également cinq hauts fonctionnaires de la Ville, dont André Harel, président du comité de vérification, et Pierre Reid, contrôleur général, de lui restituer l'ensemble des documents et renseignements qu'ils ont obtenus lorsqu'ils l'ont surveillé.

4 avril > Même s'il a critiqué les méthodes employées par Pierre Reid, le ministre des Affaires municipales, Laurent Lessard, nomme deux enquêteurs pour examiner l'ensemble des contrats accordés par le vérificateur général.