Le vérificateur général de la Ville de Montréal, Jacques Bergeron, va déposer lundi prochain au conseil municipal un rapport qui prouve que ses courriels sur ses enquêtes en cours ont été piratés à son insu par un service relevant de la direction générale de la Ville.

«Des courriels portant spécifiquement sur des sujets de vérification devant éventuellement faire l'objet de notre prochain rapport annuel ont été consultés», affirme M. Bergeron dans une lettre de trois pages, qu'il a adressée mardi à tous les conseillers municipaux.

Cette information a scandalisé le président de l'Association des vérificateurs généraux du Québec, François Gagnon, qui qualifie cette intrusion d'illégale. «La situation que M. Bergeron a vécue à Montréal est déplorable, a-t-il dit mardi. Cela remet en question la confidentialité des informations sur lesquelles travaillent les vérificateurs généraux. Je m'apprête à en saisir les membres de notre association afin d'établir comment nous allons protéger l'indépendance de notre fonction», a conclu M. Gagnon, qui est vérificateur général de la Ville de Québec.

Depuis son embauche, en 2009, M. Bergeron est en contact avec des avocats, des policiers, des juricomptables et des sources confidentielles qui lui donnent ou à qui il transmet de l'information privilégiée sur de possibles irrégularités et malversations impliquant l'administration du maire Gérald Tremblay. Ses courriels ont été piratés par le service du contrôleur général, Pierre Reid, entre le 9 juin 2010 et le 25 janvier 2011, affirme-t-il dans sa lettre.

«La preuve recueillie jusqu'à maintenant, laquelle sera plus amplement détaillée dans un rapport spécial qui sera déposé (au) conseil municipal, confirme que des courriels ont été consultés et que des informations, documents et échanges privilégiés et confidentiels concernant des sujets de vérification ou d'autres sujets d'importance provenant des membres de notre bureau ou de mandataires externes, pouvant être liés par le secret professionnel, ont été interceptés et potentiellement communiqués.»

Les piratages n'étaient pas isolés ni accidentels mais avaient été planifiés de longue date, ajoute M. Bergeron. «Les gestes posés pour camoufler ces intrusions et tenter d'en effacer toute trace dans le réseau informatique de la Ville montrent que les auteurs de ces intrusions savaient qu'ils agissaient dans l'illégalité... D'emblée, de par sa durée et son ampleur, cette intrusion s'apparente à des activités d'espionnage systématiques et à une véritable partie de pêche qui visaient de toute évidence à monter un dossier contre le Vérificateur général.»

Le maire Gérald Tremblay n'a fait aucun commentaire, mardi. Mais à 20h lundi soir, peu après que La Presse eut révélé cette affaire, le maire a diffusé un communiqué dans lequel il a décliné toute responsabilité. Son cabinet a rappelé que l'enquête sur le vérificateur général avait été demandée par André Harel, président du comité de vérification interne de la Ville. Ce dernier a répété qu'il avait transmis des allégations d'irrégularités concernant M. Bergeron à Pierre Reid, responsable du service des enquêtes. L'enquête, dit M. Harel, a prouvé que M. Bergeron avait commis des gestes illégaux, notamment en scindant des contrats professionnels pour éviter de lancer des appels d'offres sur invitation.

Louise Harel, la chef de Vision Montréal, premier parti de l'opposition, a rétorqué que M. Harel (aucun lien de parenté) n'a pas le pouvoir de donner des ordres à M. Reid. Ce dernier, a-t-elle dit, relève du directeur général de la Ville, Louis Roquet. Mme Harel a demandé le congédiement immédiat de M. Reid.

«Le maire doit immédiatement retirer sa confiance à Pierre Reid et exiger des explications sur le mutisme du directeur général, Louis Roquet, son supérieur immédiat, a-t-elle dit. De tels agissements répréhensibles au sein de son administration dépassent les bornes d'une société libre et démocratique et doivent être sanctionnés.»

Pierre Lampron, un des conseillers de Vision Montréal, siège au comité de vérification dirigé par André Harel. Il a dit que jamais M. Harel n'a informé les membres du comité de l'enquête en cours. Il a entendu parler du piratage de courriels seulement jeudi dernier. «Les méthodes d'enquête (sur M. Bergeron) entachent les résultats», a-t-il dit.

Richard Bergeron, chef de Projet Montréal, deuxième parti de l'opposition, a lui aussi réclamé le congédiement de Pierre Reid. «Le maire utilise encore l'argument du gars qui ne savait pas, a-t-il dit. Ce n'est plus un argument recevable. La défense du niaiseux qui ne sait jamais rien est tout à fait inacceptable. Le maire est indigne de sa fonction.»

Par ailleurs, La Presse a appris mardi qu'au moins une caméra avait été installée devant la porte d'entrée du bureau du vérificateur, dans l'édifice des Cours Mont-Royal, rue Metcalfe. Cette caméra permettait de voir en circuit fermé qui allait rencontrer des membres du bureau. Le vérificateur Jacques Bergeron s'en est aperçu en novembre. Il a demandé au service du contrôleur Pierre Reid, qui a ses bureaux au même étage, d'enlever la caméra. Celle-ci a été déplacée.