Après 25 ans d'exil, le retour impromptu de Jean-Claude Duvalier, dit Bébé Doc, a pris de court la diaspora haïtienne. Dans un scénario encore inimaginable il y a deux jours, l'ancien dictateur, qui, pendant 15 ans, a instauré un véritable régime de terreur en Haïti, est revenu dans son pays natal pour des raisons que les observateurs s'expliquent mal.

Incrédule, Pierre Emmanuel a suivi dimanche après-midi le retour de Bébé Doc. C'est seulement en entendant sa voix à la radio que le journaliste, qui vit depuis huit ans à Montréal, a cru ce que disait la rumeur. «Je me suis dit: c'est vrai», dit, indigné, le directeur de la station de radio haïtienne de Montréal, CPAM. «J'ai vécu la chute du régime et la crise qui l'a précédée: c'était terrible.»

Comme son père avant lui, Duvalier a régné d'une main de fer sur Haïti jusqu'en 1986 et ces années de totalitarisme politique ont marqué durablement les mémoires. «Je n'aurais jamais osé critiquer le régime. Maintenant, après 38 ans au Canada, il n'y a plus de dictature et j'ose parler», raconte un immigré haïtien, qui refusera pourtant de nous donner son nom.

Au Centre international de documentation et d'information Haïtienne, Frantz Voltaire, intellectuel bien connu de la diaspora haïtienne, jongle avec les entrevues et les nombreux emails d'Haïtiens, qui, comme lui, ont connu la répression et l'exil. «On me demande: oublie-t-on les 30 000 morts du régime? C'est inacceptable», raconte-t-il.

Au Casse-croûte Steve-Anna dans le quartier Saint-Michel, les circonstances et raisons nébuleuses du retour de « Bébé Doc » au pays alimentaient aussi les conversations ce midi. Tous ne le condamnaient pourtant pas. Ainsi, Eddy Pascal, 35 ans, né au Québec de parents haïtiens, voit plutôt d'un bon oeil le retour de l'ancien dictateur.

«Je n'ai pas personnellement vécu le régime Duvalier, mais mes parents me disent que le pays était bien à ce moment. C'était la perle des Antilles, il y avait de bonnes choses», explique-t-il, tout en concédant que l'ancien président s'était aussi illustré avec des décisions «pas fameuses». «Ma grosse crainte, poursuit M. Pascal, c'est que maintenant qu'il est revenu, les anciens méchants comme Jean-Bertrand Aristide reviennent aussi. Avec lui, on a vu des choses néfastes.»

Les intentions de Jean-Claude Duvalier restent encore mystérieuses. Plusieurs observateurs soupçonnent toutefois le gouvernement du président René Préval de vouloir, avec ce voyage surprise, distraire l'attention des Haïtiens et de la communauté internationale des résultats de l'élection présidentielle, dont on attend encore le deuxième tour.

«Je me disais que 2010 était l'annus horribilis (année horrible) pour Haïti et que 2011 serait l'annus mirabilis (année merveilleuse). Mais j'ai l'impression que ça commence plutôt mal», regrette Pierre Emmanuel.

Avec leurs familles touchées par le séisme et l'épidémie de choléra, les Haïtiens de Montréal ne sont toutefois pas en mode manifestation, rappelle Marjorie Villefranche, de la Maison d'Haïti à Montréal. «La communauté est sur le mode débrouille, les gens veulent prendre soin des leurs, aider les gens à venir au Canada. Tout l'espoir de la reconstruction repose sur la stabilité politique», dit-elle.